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Une interview de Marie-Ève Signeyrole, metteur en scène – De Britten à Tailleferre
Assistante de Jean-Louis Martinoty pour un Macbeth nancéen début 2013, Marie-Ève Signeyrole retrouve l’Opéra national de Lorraine en cette rentrée 2014 avec Owen Wingrave de Britten. Venue de l’univers du cinéma et de la télévision, celle dont avait remarqué La Petite Renarde rusée à l’Opéra de Montpellier au printemps 2012, sa première mise en scène lyrique, a plusieurs fers au feu en ce moment. Après Britten, elle passera à Germaine Tailleferre en novembre à l’Opéra de Limoges. Une riche actualité qui a conduit Concertclassic à l’interroger.
Comment avez-vous été amenée à mettre en scène le rare Owen Wingrave à l’Opéra national de Lorraine ?
Marie-Ève SIGNEYROLE : C’est plus particulièrement Valérie Chevalier (à l’époque directrice de l’administration artistique de l’Opéra national de Lorraine au côté de Laurent Spielmann, elle est aujourd’hui directrice de l’Opéra de Montpellier, ndr) qui m’avait demandé de m’attaquer à cet ouvrage. Elle avait initialement songé au Tour d’écrou et puis, en y réfléchissant, je lui ai dit que je me trouvais finalement plus d’affinités avec Owen Wingrave. Nancy souhaitait monter un Britten ; nous nous sommes donc mis d’accord sur ce titre.
Owen Wingrave est un ouvrage bien moins connu que Le Tour d’écrou : en quoi vous attire-t-il ?
M.-E. S. : Je suis d’abord attirée par la nouvelle de James elle-même et le livret qu’en a tiré Myfanwy Piper, extrêmement riche et bien écrit. Du coup on retrouve dans la musique l’écriture très dramaturgique de celui-ci. Le fantastique y est moins présent, plus anecdotique que dans Le Tour d’écrou, plus psychologique que gothique ; ce qui m’intéresse plus.
Sans trop déflorer le spectacle que l’on va découvrir à compter du 5 octobre à Nancy, de quelle manière abordez-vous Owen Wingrave ? J’ai cru comprendre que le manoir anglais était abandonné …
M.-E. S. : Complètement ! (rires) Owen Wingrave est une pièce très intimiste qui peut poser des problèmes au metteur en scène. L’œuvre a été écrite pour la télévision et Britten disait qu’il fallait de toute façon presque repenser le livret si on la montait scéniquement. On règle souvent le problème du parallélisme entre plusieurs scènes par les éclairages. Comme je suis plutôt issue du cinéma, je me suis sentie proche de cet ouvrage. L’écriture cinématographique dans la musique elle-même, au lieu de me poser un problème, était plutôt une belle proposition pour moi en tant que réalisatrice à l’origine et non metteur en scène.
Fabien Teigné © DR
Avec Fabien Teigné, mon scénographe, nous avons réfléchi à un objet qui pourrait à la fois être d’ordre cinématographique du point de vue visuel – nous avons pensé à une lanterne magique, à un praxinoscope géant – et en même temps susceptible d'accompagner scéniquement l’écriture cinématographique de la musique (en nous permettant de traiter certaines scènes comme un long plan-séquence, de jouer le montage alterné, un premier plan, un second plan et même un hors-champ, etc.). Dans cette perspective le manoir n’était pas intéressant en tant que tel. J’avais envie de retrouver quelque chose de plus militaire – l’œuvre est écrite pendant la guerre du Vietnam -, plus guerrier, plus angoissant, qui soit à la fois un objet de torture - comme on peut l’imaginer pendant la guerre - et un objet qui, de façon réaliste, fasse penser à la guerre dans son aspect économique. Notre objet s’apparente à une plateforme pétrolière. Hasard plus que cause de ce choix, j’ai en faisant des recherches découvert que la nouvelle d’Henry James est exactement contemporaine de la naissance de l’industrie pétrolière en Angleterre (le traité de protectorat sur Bahrein a été signé en 1892).
Quelques mots enfin sur l’équipe vocale réunie pour cet Owen Wingrave …
M.-E. S. : C’est un très beau cast, composé de chanteurs anglais, écossais, irlandais, américains. Pour la plupart d’entre eux il s’agit d’une prise de rôle, étant donné que l’ouvrage est peu joué, et c’est un vrai plaisir que travailler avec des gens tous anglophones. Scéniquement, c’est l’école anglo-saxonne ; même très jeunes, ils montrent une maîtrise déjà très solide.
Passons maintenant à un tout autre univers : les 11 et 13 novembre on découvrira à l’Opéra de Limoges votre « Affaire Tailleferre », un spectacle réunissant les quatre « opéras radiophoniques » en un acte écrits par la compositrice française en 1955 suite à une commande de l’ORTF ( Le Bel Ambitieux, La Fille d’opéra, Monsieur Petitpois achète un château, La pauvre Eugénie). Par quel hasard vous êtes-vous intéressée à ces partitions oubliées ?
M.E. S. : Alain Mercier, directeur de l’Opéra de Limoges, m’a proposé il y a un an et demi environ de me lancer dans ce projet, qui est accompagné par l’Education Nationale. Il faut savoir que ces ouvrages de Tailleferre, quatre pastiches qui permettent de voyager à travers les genres, seront au programme de l’option musique du Bac en 2017. Bel Air Media envisage de capter le spectacle afin d’offrir aux lycéens un document de référence.
J’imagine qu’avant de vous lancer dans ce projet vous ne vous étiez guère préoccupée de ces partitions de Tailleferre …
M.E. S. : Absolument pas ! Et ne je savais pas trop comment les aborder au départ. Le déclic s’est produit lorsque j’ai écouté l’enregistrement d’origine de l’ORTF : la couleur de ces voix « à l’ancienne », dont celle du narrateur qui introduit chacun des ouvrages, m’a donné envie de les monter.
Comment êtes-vous parvenue à regrouper de façon cohérente ces quatre opéras-minute, initialement conçus pour la radio, dans un seul spectacle : « L’Affaire Tailleferre »?
M.E. S. : Il s’agit en effet bien d’opéras-minute, il font entre 14 et 17 minutes chacun - pour l’anecdote, il en existe un cinquième dont Germaine Tailleferre n’a pas achevé la rédaction. A eux quatre, ils formeront un spectacle d’une heure vingt environ. J’ai pris le parti de ne pas souligner les quatre genres mais de faire confiance à la musique comme expression de chacun d’entre eux et de trouver une unité de lieu, d’action et de temps qui permette, dans le décor et la dramaturgie, d’unifier quatre œuvres qui traitent de petites affaires sociales, de petits drames familiaux, etc. Elles se dérouleront dans un tribunal et seront traitées comme les quatre affaires du jour. Je ne voulais pas effacer le lien avec la radio : j’aurais pu couper le texte relativement long qui introduit chacun des opéras ; j’ai préféré le conserver et imaginer que chaque affaire est introduite par un chroniqueur judiciaire.
Christophe Rousset sera à la baguette pour cette « Affaire Tailleferre ; un interprète que l’on n’attendait pas forcément dans ce répertoire …
M.-E. S. : C’est vrai, mais je crois qu’il a été séduit par quatre petites perles rares où Germaine Tailleferre s’amuse à pasticher les grands genres et qu’il va prendre beaucoup de plaisir à travailler avec les chanteurs sur des livrets (de Denise Centaure, ndr) pleins d’humour et d’imagination. La distribution comprend huit chanteurs que l’on retrouve dans différents rôles de ces quatre opéras
Un point commun aux deux spectacles, la présence de Fabien Teigné pour la scénographie …
M.-E. S. : Notre collaboration a commencé avec La Petite Renarde rusée, ma première mise en scène d’opéra à Montpellier en 2012. Nous nous sommes trouvé des affinités dans la façon de travailler, la main dans la main du début de la commande jusqu’à la dernière répétition. Il ne travaille pas le décor de son côté et moi la mise en scène du mien ; nous travaillons un décor mis en scène. Nous décomposons, nous écrivons tout ensemble et je me sens très proche de son univers.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 19 septembre 2014
Britten : Owen Wingrave
5, 7, 8, 10 et 11 octobre 2014
Nancy – Opéra
www.opera-national-lorraine.fr
« L’Affaire Tailleferre » (Le Bel Ambitieux, La Fille d’opéra, Monsieur Petitpois achète un château, La pauvre Eugénie)
11 et 13 novembre 2014
Limoges – Opéra-Théâtre
www.operalimoges.fr
Photo © DR
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