En janvier dernier, Max Emanuel Cencic, Armonia Atenea et George Petrou tirait de l’oubli Johann Adolf Hasse (1699-1783) en lui consacrant un disque étourdissant collationnant onze airs tirés d’un choix parmi les soixante dix opéras écrits par « Il caro Sassonne » (1). Mais l’on n’osait pas croire que cet album serait le prélude à la révélation d’un de ses ouvrages majeurs, Siroe Re di Persia, dont Hasse réalisa deux versions à trente années de distance. Le voici au disque(2), avant que Versailles ne le découvre sur la scène de l’Opéra Royal dans la régie de Max Emanuel Cencic les 26, 28 et 30 novembre. George Petrou nous en dit un peu plus et pas seulement sur ce chef-d’œuvre retrouvé.
 
Vous êtes pianiste à l’origine. Comment êtes-vous venu à la direction d’orchestre ?

George PETROU : Ceci s’est passé en quelque sorte à mon insu. Durant mes études musicales à Athènes puis à Londres je n’ai jamais été attiré par la direction d’orchestre. J’ai suivi mon cursus de pianiste classique jouant sur un Steinway moderne Bach, Beethoven. Mais un peu plus tard j’ai commencé à m’intéresser aux instruments anciens, au clavecin, au pianoforte, à la pratique du répertoire baroque. En tant que pianiste « conventionnel » j’ai été fasciné par ce nouveau monde, alors qu’au conservatoire on ne se préoccupait vraiment pas de  la musique ancienne et de son interprétation. Et donc, de moi-même je me suis mis au clavecin, j’ai commencé à jouer de plus en plus souvent en  continuo, et c’est ainsi que progressivement la direction d’ensemble s’est imposée, sans que ce soit le fruit d’une décision consciente, juste parce qu’à un moment il a bien fallu que je dirige pour remplacer un collègue. Dès que je commençais à diriger les choses se sont enchaînées rapidement. Diriger m’était naturel, j’ai eu immédiatement des propositions d’engagement et d’une certaine façon cela m’a libéré de toutes ces heures passées à la pratique du piano et de l’étouffante solitude à laquelle elles me contraignaient.
 
Votre  ensemble Armonia Atenea  vous a propulsé  au devant de la scène internationale. Comment s’est-il-construit ?

G.P. : J’ai commencé mon activité de chef d’orchestre en Grèce avec un autre ensemble, l’Orchestre de Patras. Nous nous sommes engagés dans l’enregistrement pour le label allemand MDG d’ouvrages parfois peu connus de Haendel en rapport avec des sujets grecs, Ariana in Creta, Oreste, mais aussi Giulio Cesare dans sa version de 1724. Puis on m’a confié la direction de la Camerata d’Athènes. Avec cet ensemble j’ai développé un projet particulier, dont est né Armonia Atenea : son nom même indique bien la volonté d’inscrire notre activité artistique dans une nouvelle ère. Le succès a tout de suite été au rendez-vous, au concert aussi bien qu’au disque. L’ensemble est connu mondialement par ses disques pour MDG ou Decca et associé au répertoire baroque. Mais c’est un orchestre à géométrie variable, qui joue sur instrument anciens  ou sur instruments modernes, en formation de chambre, ou symphonique. Notre enregistrement du Prometheus de Beethoven (3) a été publié voici peu, et oui, nous explorerons d’autres parties du répertoire, ce disque Beethoven n’est qu’un début.
 

Max Emanuel Cencic © beetroot
 
Pourquoi avez-vous choisi avec Max Emanuel Cencic,  parmi les soixante-dix opéras de Hasse,  tout spécialement  Siroe re  di Persia ?

G.P. : Max est venu me trouver avec ce projet précis. Il a redécouvert la partition, il a en réalisé l’édition puisqu’il y a deux versions de l’œuvre et qu’aucune n’avait proprement été éditée, et en la lisant j’ai été fasciné. Cet opéra est d’une incroyable beauté, c’est un des gemmes de l’histoire lyrique dans sa mutation du baroque au classique. Vous savez, il y a dans l’histoire de l’opéra en Europe une période de trente ans que l’on connait encore très peu. Même moi qui suis un musicien professionnel, je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé dans ce domaine entre Vivaldi et Haydn, je ne connaissais pas ce que l’on nomme le Rococo, le style galant représenté par Hasse, par les napolitains Vinci et Leo. Pour donner toutes ces chances à Siroe, il nous fallait réunir un ensemble de chanteurs virtuoses, et oser aborder cette révolution du style galant en face, sans l’affadir. Nous reviendrons à Hasse, mais nous n’oublions pas Haendel : notre prochain opus discographique sera consacré à Radamisto.
 
Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 15 novembre 2014
 
(1) Hasse : « Rokoko », onze airs d’opéra, Concerto pour mandoline, Max-Emmanuel Cencic, Armonia Atenea, George Petrou, , 1 CD Decca 4786418
(2) Hasse : Siroe Re di Persia, Cencic, Fagioli, Lezhneva, Nesi, Armonia Atenea, George Petrou (2 CD Decca 4786768).
(3) Beethoven : Die Geschöpfe des Prometheus, Armonia Atenea, George Petrou (1 CD Decca 478 6755)
 
 
Hasse : Siroe Re di Persia
26, 28, 30 novembre 2014
Versailles - Opéra Royal
www.chateauversailles-spectacles.fr

Photo © Ilias Sakalak