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Anna Bolena de Donizetti à l’Opéra de Toulon – Du style et du feu - Compte-rendu
Il est toujours intéressant de voir comment évolue une production créée dans un lieu avec une distribution, puis reprise plus tard ailleurs et avec d’autres protagonistes. A Toulon où cette Anna Bolena a trouvé refuge après Bordeaux, ce qui saute immédiatement aux oreilles et constitue le premier changement notoire est assurément la direction : la battue de Giuliano Carella est vive et brillante, l’interprétation a du style et l’approche générale traduit un respect évident pour cette musique, là où Leonardo Vordoni ne donnait que du son.
Ainsi la partition retrouve-t-elle sa grandeur et sa beauté, les moments de tension comme les plus extatiques, propres à l’esthétique donizettienne, révélant toute leur substance et leur théâtralité. Second motif de satisfaction, la présence du ténor Ismaël Jordi dont on mesure le travail accompli et dont les nets progrès lui permettent aujourd’hui de s’affirmer dans un répertoire où sa place est toute trouvée. Le timbre a perdu son acidité pour gagner en rondeur et le chanteur qui maîtrise nuances et expression, également bon acteur, campe un Percy de premier ordre.
La voix puissante et agressive de Simon Orfila manque parfois de finesse, mais son Enrico cassant et séducteur tient honorablement son rang. Kate Aldrich qui succède à Keri Alkema dessine, malgré une tendance à chanter un peu trop souvent forte/mezzo forte, un portrait convaincant de Giovanna Seymour, maîtresse du Roi et confidente de la Reine. Toujours belle en scène, la cantatrice fait valoir un vif tempérament, rehaussé par une ligne vocale robuste, de fermes vocalises et un aigu percutant. Passons en revanche sur le Smeton mal dégrossi de Svetlana Lifar, affublé d’un costume et d’une perruque atroces, Thomas Dear en Rocheford et Carl Ghazarossian en Hervey se montrant honnêtes.
On retrouve enfin avec plaisir la soprano albanaise Ermonela Jaho dans le rôle d’Anna, qu’elle avait fièrement abordé au TCE en 2009. Si l’instrument n’a pas toujours la vaillance requise, la cantatrice, et c’est tout à son honneur, n’essaie pas de se trouver une voix qu’elle ne posséderait pas. La tessiture est large avec quelques passages exposés (« Non v’ha sguardo », « Ah segnata è la mia sorte »), duo avec Seymour (« Dio che mi vedi in core »(, trio avec Percy et Enrico (« Salira d’inghiterra sul trono »(, sans oublier une scène finale qui compte parmi les plus longues et difficiles.
Attentive aux couleurs, à la diction, Jaho varie les accents, faisant de l’évocation de son passé « Al dolce guidami » un moment de choix, avant de terminer la soirée fatiguée mais victorieuse, après un « Coppia iniqua » qui la dépasse, mais qu’elle sait rendre brûlant.
Comme à Bordeaux, la production (signée Marie-Louise Bischofberger) montre elle aussi ses limites en termes de direction d’acteur, mais se laisse regarder sans jamais lasser.
François Lesueur
Donizetti : Anna Bolena – Toulon, Opéra, 14 novembre, dernière représentation le 18 novembre 2014 / www.operadetoulon.fr
Photo © Frédéric Stephan
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