Pianiste rare, Henri Barda (73 ans) a consacré la plus grande partie de sa vie à l’enseignement comme professeur au Conservatoire National Supérieur de Paris – il continue d’ailleurs de dispenser ses précieux conseils à l’Ecole Normale de Musique. Ses récitals triés sur le volet constituent toujours des moments précieux. Ce fut le cas à Bordeaux au Théâtre Fémina pour le concert de clôture du 5^ème Festival L’Esprit du Piano.
 
L’angoisse se ressent dès le Rondo en la mineur de Mozart attaqué avec une urgence qui nous plonge dans un désespoir déchirant, rendant à cette partition son caractère haletant, loin des interprétations de salon. Avec les Six Pièces pour piano op. 118 de Brahms, le soliste entre dans un monde d’images contrastées en ménageant des espaces de douleur mordorée et d’héroïsme conquérant, malaxant le son et le projetant, avec une ampleur abyssale parfois (Ballade en sol mineur). Les Quatre Impromptus de Chopin possèdent liberté, imagination et  fantaisie ; ils ne se contentent pas de légèreté mais bouleversent constamment par la simplicité et l’humilité à fleur de peau (Impromptu n°1). Dans la Sonate « Funèbre » s’installe une tension où Barda met sa propre vie en jeu, littéralement possédé par le drame qui se déroule. Son clavier se fait orchestre et libère des sonorités de bronze d’une profondeur inouïe. Le Presto final, course à l’abîme, laisse sans voix et seule une valse de Chopin donnée en bis permet de reprendre haleine.
 
Un concert inoubliable donné par l’un des derniers représentants de la grande tradition du piano. On retrouve dans le jeu d’Henri Barda l’héritage des maîtres du passé dont il se fait le messager. Il faudra se précipiter, fin mars, au prochain Printemps des Arts de Monte-Carlo, au cours duquel ce musicien hors pair interprétera le Second Livre du Clavier bien tempéré : des instants d’éternité en perspective …
 
Michel Le Naour
 
Bordeaux, Théâtre Fémina, 21 novembre 2014
 
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