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Stéphane Denève dirige l’Orchestre National de France – Superbe entente – Compte-rendu

Le bois est le meilleur ami de la musique. Cerisier, bouleau, hêtre : il tapisse abondamment l’Auditorium de Radio France, inauguré le 14 novembre dernier. Jacques Doucelin vous a fait part de ses impressions, plus que positives, au lendemain de l’ouverture officielle. Nous lui emboîtons le pas pour redire la réussite d’une acoustique certes claire et sans complaisance, mais aucunement sèche (bravo à l’acousticien Yasuhiha Toyota !). L’ouest de Paris dispose dorénavant d’une salle moderne de belle capacité (1461 sièges) qui, par sa configuration circulaire, préserve toutefois une forme d’intimisme dans la relation avec les interprètes.
Autant dire que les mélomanes de cette partie de la capitale auront parfois de sérieuses raisons de réfléchir avant d’entreprendre un long trajet pour se rendre à la Villette … Une réserve toutefois (nous étions au 1er balcon côté cour), le souffle de la climatisation demeure un peu trop présent pour l’instant. Cela fait sûrement partie des réglages et ultimes finitions dont l’Auditorium fera l’objet dans les mois à venir ; la plus importante d’entre elles étant évidemment la mise en service de l’orgue de 88 jeux, signé Gerhard Grenzing, dont l’inauguration a été repoussée à la rentrée 2015.

Ce report a d’ailleurs conduit à un changement dans le programme dirigé par Stéphane Denève à la tête de l’Orchestre National. Poulenc s’est substitué… à Poulenc et, à la place du Concerto pour orgue initialement prévu, on a découvert le Concerto pour deux pianos sous les doigts de Frank Braley et Eric Le Sage, partition dont ces artistes ont signé une très belle version en 2003 sous la baguette de Denève. C’était là le gage d’une profonde complicité, qui s’est pleinement vérifiée au concert.
 
Vivante, spirituelle, l’interprétation dégage une contagieuse jubilation. Et que de justesse goûte-t-on dans le traitement des teintes délicates, du climat si délicieusement ambigu d’un Larghetto empli de réminiscences mozartiennes. On pouvait faire confiance aux deux solistes pour ne pas passer à côté de ce mouvement délicat à saisir. Tout comme à Stéphane Denève, merveilleux connaisseur de la musique française. A preuve les enregistrements qu’il a signés à la tête du Royal Scottish National Orchestra ;  en particulier une intégrale des Symphonies de Roussel (Naxos), tout aussi passionnante que des Variations symphoniques et des Djinns de Franck au côté d’un Bertrand Chamayou au meilleur de son art (Naïve).
 
Stéphane Denève est trop rare en France. Sa venue à l’Orchestre National a réservé un bonheur immense au public, tout comme à une phalange qui a clairement manifesté son enthousiasme au terme du concert. Il faut dire qu’après une telle 3ème Symphonie de Roussel, les musiciens avaient toute légitimité pour montrer plaisir et fierté. Magnifique exécution : Denève sait libérer l’énergie de l’Opus 42 en préservant une grande netteté des lignes ; il avive les coloris sans jamais céder à quoi que ce soit de criard. Il aime profondément la musique d’un de nos très grands maîtres – évidence certes mais, à en juger par la rareté du compositeur dans les programmes, il n'est pas inutile de le rappeler … - et cela s’entend. Sous sa battue le National renoue avec un sens des timbres qui fait sont identité profonde. Une intégrale de la musique symphonique de Roussel : voilà qui aurait une certaine gueule comme fil rouge d’une saison ! Et qui exciterait plus le plublic que des cycles Brahms, Beethoven ou Mahler qui relèvent, comme l'écrivait déjà en son temps Honegger, de "la loi du moindre effort". Les auditeurs d'aujourd'hui sont bien plus curieux que d'aucuns ne persistent à le croire.

Le long règne de Kurt Masur a permis à l’orchestre de se familiariser avec le langage de Mendelssohn. C’est à la Symphonie n° 5 « Réformation », que revenait d’ouvrir la soirée, témoignant d’emblée de la superbe entente de Stéphane Denève et du National. Puisse ce tandem vite se reformer !
 
Alain Cochard
 
Paris, Auditorium de Radio France, 27 novembre 2014

Photo © Drew Farrel

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