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Sir Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker à la Philharmonie de Paris - Extase mahlérienne - Compte rendu

Ecrasante, mais pour une fois pas écrasée, danger que court souvent l’énorme 2ème Symphonie de Mahler. Les Philharmoniker y lançaient leurs premières notes dans ce nouveau temple, si comparable à leur habituel antre berlinois avec peut-être plus de clarté encore. On sait les qualités analytiques de Sir Simon Rattle, capable comme peu de chefs, de faire émerger chaque voix de l’orchestre comme le bien le plus précieux de l’instant. Pour la "Résurrection", il trouvait matière à exercer ses talents, et rarement on aura entendu ce chef-d’œuvre aux proportions un peu gonflées et aux masses ostentatoires explicité avec autant de finesse et d’évidence sonore, sinon par Claudio Abbado et l’Orchestre de Lucerne, qui en proposait une synthèse déchirante.
 
Le train de contrebasses résonnant d’un discours parlé comme ils en ont peu l’occasion dans le répertoire, sauf chez Richard Strauss, cor anglais pleurant comme jamais, flûtes scintillantes, somptueuse cohorte de cors qui appellent à ne jamais lâcher prise, et cordes brûlantes comme toujours chez cette incomparable formation : ce fut donc la fête pour tous ces instruments dont l’acoustique de la Philharmonie permet d’apprécier le détail au plus serré, tandis que le chef brasse ces vagues sans partition, et sans jamais perdre la flèche qui conduit tous ces hauts et ces bas vers l’ascension finale, dont le texte redonde exagérément. Mais heureusement, bien que celui-ci ne parle plus à nos mentalités éloignées des emphases romantico-mystiques, il a aussi permis de goûter au mieux les infinies possibilités sonores du lieu, avec l’entrée en scène, impalpable, murmurée dans un souffle de l’extraordinaire Chœur de la Radio néerlandaise, que dirige Gijs Leenaars, lequel prendra la saison prochaine la tête du Rundfunkchor Berlin.

Mahler y a aussi introduit deux voix de solistes féminines avec une totale liberté, d’où l’entrée en scène de deux vedettes avec lesquelles Simon Rattle aime à se produire, son épouse Magdalena Kozena, qui a gardé son riche timbre, à la fois sensuel et voilé, tout en perdant un peu de sa ligne de chant, et la vibrante Kate Royal, dont on entend trop peu le fin tracé, car Mahler ne lui a pas donné une forte partie à défendre. Au cœur de cette montée vertigineuse, Rattle, tel qu’en lui-même, image ténue autour de laquelle tout gravite, tandis qu’il chante à gorge déployée quand le texte s’offre à lui. A un tel voyage, il fallait un tel vaisseau. Auparavant le chef, aventureux comme à son ordinaire et attentif à toutes les vibrations de la musique contemporaine, avait proposé une pièce de Helmut Lachenmann, Tableau : dix minutes de bruitages subtils qui ont donné le la des possibilités de la salle. Comme un danseur fait sa barre.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Paris, Philharmonie, 18 février 2015.

Photo © Herouville

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