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Roméo et Juliette de Jean Christophe Maillot par les Ballets de Monte Carlo - L’ivresse de la jeunesse - Compte-rendu
C’est un ballet jeune, et pas seulement de jeunesse. Si Jean-Christophe Maillot lui donna sa forme définitive en 1996, alors qu’il avait 36 ans, il en avait déjà conçu la dramaturgie bien avant, lors de sa période tourangelle. Et dès sa création avec les Ballets de Monte Carlo, le ballet fut un peu la carte de visite de la compagnie : une pièce qui claquait comme un coup de vent, une furieuse envie de vivre et de danser, le bouillonnement d’une adolescence grisée de son corps. A l’image du chorégraphe habité d’une inépuisable énergie, secoué par une idée à la minute et dont le style portait déjà une marque forte, celle de ce perpetuum mobile qui ne l’a jamais quitté.
Le temps a passé, de nombreux opus ont montré une grande richesse de thèmes et d’inspirations, de tourments exposés et magistralement redressés, de quêtes d’identité dont la danse avait toujours raison : Lac, Choré, Cendrillon, La Belle, Faust et tout récemment une manière de chef-d’œuvre, sa Mégère apprivoisée, créée à Moscou pour et par le Bolchoï. Une même verdeur shakespearienne, crue, déjantée, et chez le chorégraphe le même désir de toucher à l’essentiel en élaguant les détails accessoires dont la danse ne tire pas toujours profit. Le narratif, certes, mais dans le langage de la modernité. Oubliés donc les conflits historiques des nobles familles véronaises, les intrigues de pouvoir : Maillot ne traite pas du social, à l’inverse de son grand contemporain Mats Ek, les touches de son clavier sont chair et passion.
Face au jeune couple et à leurs amis ne subsiste qu’une impitoyable dame Capulet, très méchante reine de Blanche Neige : on salue au passage la splendide composition de Mimoza Koike, graphique comme une virgule dans son provocant fourreau noir, seul costume véritablement signifiant de ce ballet où tout se joue dans la plus grande simplicité, avec quelques panneaux blancs mobiles posés par le décorateur Ernest Pignon- Ernest, complice de Maillot, et une rampe qui figure le balcon et étage l’action.
Tenues discrètes donc, signées Jérôme Kaplan, qui ne surchargent pas une chorégraphie pleine comme un œuf, d’autant qu’elle se joue sur l’enregistrement de Valéry Gergiev, échevelé, dirigé à la masse d’arme, et respectant les tempi de Prokofiev, souvent adoucis. En deus ex-machina de l’action, un étrange Frère Laurent, qui essaie de contenir les excès du drame qu’il a provoqué en croyant calmer cette bande d’adolescents que Maillot met face à face, sans haine véritable, juste des gamins excités, jusqu’à ce qu’un mauvais coup fasse basculer l’action. Ce type de personnage est récurrent chez le chorégraphe, ange noir dont on retrouve la trace dans toute son œuvre, mi Méphisto, mi Faust, silhouette de Frollo émacié que campe fort bien Alexis Oliveira, lequel n’a évidemment pas la stature de celui pour qui le rôle fut créé, Gaëtan Morlotti, sorte de double de Maillot.
Dans la jeune garde, on note le beau Tybalt d’Alvaro Prieto et le brillant George Oliveira en Mercutio, tandis que les pitreries de la nourrice, Maude Sabourin, évoquent celles des sœurs de Cendrillon (toujours Prokofiev !). Et surtout, un couple inhabituel, avec un Roméo un peu pataud, le charmant Stephan Bourgond, comme juste sorti de l’adolescence, dépassé par la féminité triomphante d’une Juliette forte qu’incarne avec grâce et folie la fine Anja Behrend, venue du Ballet de Hambourg. Et forte, elle l’était sans doute bien plus lorsqu’elle était incarnée par la muse de Maillot, l’étrange et androgyne Bernice Coppieters, pour laquelle le rôle fut dessiné. Sa présence fatale de déité antique donnait une toute autre tonalité à ce rôle qu’on imagine plus volontiers porté par une gamine espiègle et mutine. Mais le ballet doit vivre, avec ses nouvelles silhouettes, quels que soient les vestiges du passé !
Pour ses héros, Maillot s’est passé du lyrisme, évitant les grands portés qu’amènent si facilement les envols mélodiques. Il a cherché une autre vérité, celle de la nature et de la spontanéité, même dans ce qu’elle a de cassé et de fragmentaire. « Je ne voudrais pas qu’on se souvienne de figures de danse, mais de figures de vie, que l’on oublie presque qu’il s’agit d’un ballet », dit-il. Et l’on ne s’étonnera pas de ce que ce Roméo et Juliette parte dans deux ans au Bolchoï, auquel le tandem Shakespeare-Maillot va si bien. Après avoir séduit les Londoniens ce mois et les Français à Versailles en juin.
Jacqueline Thuilleux
Roméo et Juliette (Prokofiev /chor. Jean Christophe Maillot) – Monte Carlo, Grimaldi Forum, 16 avril 2015 / www.balletsdemontecarlo.com
Londres, Coliseum, 23, 24 et 25 avril 2015 (www.eno.org). Versailles, jardins de l’Orangerie, les 23 et 24 juin 2015 (www.chateauversailles-spectacles.fr)
A noter que La Mégère Apprivoisée a reçu ce 18 avril 2015 au Bolchoï, trois des Masques d’Or décernés aux meilleures productions de toute la Russie pour l’année
Photo © Alice Blangero
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