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Une interview de Jean-François Borras – Le ténor qui monte
Peu présent dans l'hexagone, le Français Jean-François Borras est le ténor qui monte. Verdien dans l'âme, il sera bientôt à l'affiche du Macbeth programmé au TCE du 4 au 16 mai, aux côtés de Susanna Branchini et de Roberto Frontali, sous la baguette de Daniele Gatti et dans la régie de Mario Martone. A quelques jours de la première, il a répondu à nos questions et accepté de revenir sur une carrière marquée par de sensationnels débuts au Metropolitan Opera de New York, il y a tout juste un an.
Vous serez bientôt Macduff dans Macbeth, au TCE, où vous étiez Cinna de La Vestale en octobre 2013. Que d'évolution entre ces deux dates : plusieurs prises de rôles dont Werther, vos débuts à Vienne et au Met, comment avez-vous vécu ces étapes et êtes-vous satisfait de la manière dont se précise votre carrière ?
Jean-François BORRAS : Oui, je suis très content ! Werther a été pour moi une belle expérience, car j'attendais depuis des années d'avoir la maturité vocale pour pouvoir affronter cette partition. J'avais beau m'y préparer, je n'aurais jamais imaginé le chanter la première fois au Met. Quand on m'a proposé de faire la doublure de Jonas Kaufmann, j'ai immédiatement accepté, car j'ai trouvé l'occasion trop belle pour moi de m'y confronter sans risque, pouvant accéder aux répétitions et me préparer doucement. J'étais très bien dans ce « rôle » et tout à coup il a fallu remplacer Kaufmann et les choses se sont passées à toute allure. C'était extraordinaire et en plus j'ai pu débuter en compagnie de partenaires magnifiques, Sophie Koch et Alain Altinoglu dans la fosse : c'était parfait.
Qu'est-ce que cet événement vous a appris sur vous-même ?
J.-F. B. : Je suis resté très calme, car je me savais très bien préparé. Tout le monde a voulu travailler avec moi, du pianiste au metteur en scène, mais je leur ai répondu que je me sentais bien, que j'allais relire la partition et que tout allait bien se passer. Et c'est ce qui est arrivé. Le public attentait Jonas Kaufmann bien sûr, nombreux étaient ceux qui étaient venus pour lui, ce que je comprends, surtout dans un rôle de cette dimension ; certains ont préféré partir, ont vendu leur place, mais le Met est réputé pour ces situations car il y a beaucoup de représentations. Le théâtre est ouvert six jours sur sept, jouant deux fois le samedi pour libérer le dimanche et il est donc fréquent que des chanteurs soient remplacés au dernier moment. Il y a même un public pour cela, friand de découvrir de nouveaux interprètes. Le public resté à m'écouter a attendu que l'opéra commence et s'est mis rapidement à applaudir, ce qui était très réconfortant.
Ce remplacement a eu des retombées positives puisque vous avez été invité cette saison à venir chanter La Bohème.
J.-F. B. : En effet, j'ai eu des propositions dès le lendemain et j’ai depuis signé plusieurs contrats qui courent jusqu’en 2017. La direction me voulait dans le répertoire français et j'ai dû insister pour revenir dans le répertoire italien que je chante plus que le français quand on regarde bien. J'ai demandé à être auditionné en italien et ma proposition a finalement été acceptée. Je suis revenu pour Bohème et suis attendu dans Rigoletto fin 2015, avant Werther en 2016, en alternance avec Vittorio Grigolo.
Verdi vous accompagne depuis vos débuts avec Alfredo, Duca di Mantova, Carlo VII (Giovanna d'Arco), Foresto (Attila) : comment s'est faite cette rencontre avec un compositeur qui ne vous quitte plus aujourd'hui ?
J.-F. B. : A vrai dire je ne sais pas. J'ai commencé par des Traviata, puis par des Rigoletto, des ouvrages qui se font souvent et pour lesquels il faut des distributions ; je les ai chantés au moins cinquante fois chacun, puis est venu Giovanna d'Arco, rarement représenté, à Rouen, partition que j'ai eu l'opportunité de reprendre régulièrement en version de concert à Gratz et à Martina Franca, un opéra de jeunesse, moins accompli que les œuvres qui suivront, mais qui se tient et que je trouve très beau. Il y a quelques moments vraiment réussis, des chœurs parfois un peu bâclés, certes, mais le trio a cappella est superbe.
Macduff n'est ni le rôle le plus développé, ni le plus marquant de Verdi, mais la plupart des grands ténors s'y sont mesurés de Bergonzi à Pavarotti en passant par Domingo et Alagna. Que pensez-vous pouvoir exprimer au plateau avec ce personnage ?
J.-F. B. : Le rôle est court, c'est exact, jusqu’au 4e acte ce personnage est presque toujours en compagnie des chœurs, puis arrive enfin son air, un air que tout le monde attend, magnifique, surtout dans la mise en scène de Mario Martone qui a voulu que l'on assiste à l'enterrement de sa femme et de ses enfants, au lieu d'assister à un moment lié à des souvenirs. Je rentrerai sur scène et l'on découvrira les dépouilles de ses proches, en plein drame personnel, ce qui renforcera la tension, et apportera plus d'émotions encore. J'aborde ce rôle pour la première fois et le faire ici au TCE ne pouvait se refuser : j'ai accepté sans hésiter.
Juste après Macduff vous avez rendez-vous avec un autre héros verdien, Riccardo du Ballo in maschera, dont la tessiture en effraie plus d'un, à Metz. Comment vous êtes-vous préparé à ce nouveau défi et avez-vous des modèles dans ce rôle ?
J.-F. B. : Je suis en train de le préparer, car depuis le début de l'année j'ai eu plusieurs débuts et à chaque fois des challenges. En janvier au Met j'ai chanté Rodolfo de La Bohème, mais juste après j'ai dû apprendre mon premier Requiem de Verdi pour l'interpréter à Minneapolis, avant de me mettre à Macduff et en ce moment à Riccardo. Il me reste un mois pour l'assimiler, car c'est un rôle fleuve. L'opéra n'est pas très long, mais Riccardo est là très souvent, avec trois grands airs, un duo, des ensembles et beaucoup de textes à dire très vite, donc je suis en plein apprentissage. A peine Riccardo terminé je devrais apprendre Nicias dans Thaïs que je donnerai au Brésil, une partition que je n'ai pas encore ouverte. Pour Riccardo j'écoute en ce moment une version avec Pavarotti captée au Met, que j'aime beaucoup, pour la diction, la façon claire que ce grand chanteur possède ; avec lui on comprend tout, il est solaire et cela me donne des idées. Puis après nous cherchons nous-même, écoutons les différents tempi, ceux de Muti à la Scala pour Macbeth sont formidables. Ceux de Gatti seront différents bien sûr et il ne faut pas se bloquer, mais être malléable, s'adapter et faire sien ces rôles en les interprétant, en y mettant beaucoup de nous.
Le chant est entré très tôt dans votre vie puisque vous avez intégré à huit ans Les petits chanteurs de Monaco, travaillant et voyageant beaucoup, avant de suivre des cours auprès de votre professeur Marie-Anne Losco. Avez-vous toujours su que vous seriez ténor et comment avez-vous accueilli cette tessiture ?
J.-F. B. : Ténor non, mais que le chant était une passion oui, car dès cinq ans je passais ma vie en chantant par-dessus la radio. Mes parents n'ont pas hésité longtemps à me mettre aux petits chanteurs pour que j’apprenne toute sorte de musiques et puisse voyager. J'avais des aptitudes et un attrait pour la musique. Avant le Conservatoire j'ai créé un groupe a capella avec des amis chanteurs, car c'était la mode des groupes comme Pow Wow. Nous avons arrangé des morceaux et chanté ensemble un petit moment. Puis nous nous sommes inscrits à l'Académie de musique de Monaco pour travailler nos voix et améliorer notre façon de chanter, en tant que jeunes adultes. J'ai ensuite rencontré Marie-Anne Losco qui m'a fait découvrir l'art lyrique et proposé de travailler des airs dont celui de L'Elixir d'amour, qui m'a émerveillé. Je l'ai appris en quelques temps, ce qui m'a permis de revenir à la voix de ténor que j’avais laissée de côté pour travailler deux ans comme baryton. J'ai également suivi les master classes de Gabriel Bacquier que j'ai eu la chance de côtoyer plusieurs années, dans le cadre d'études de travail qui m'ont permis de participer à des représentations d'opéras inoubliables : Les Noces de Figaro, Traviata, L'Elixir, La Vie parisienne.
Si Verdi occupe une grande partie de votre emploi du temps, vous vous êtes fait connaître avec des rôles plus lyriques, parfois plus légers issus du bel canto romantique (Edgardo, Nemorino) mais aussi puccinien avec Rodolfo qui alternent avec l'opéra français qui vous a offert jusqu'à maintenant de beaux personnages (Roméo, Gérald, Faust..). Comptez-vous respecter cet équilibre encore longtemps, ou le perturber avec d'autres compositeurs et si oui lesquels ?
J.-F. B. : On va dire que cette année je l'ai perturbé, avec le Requiem, Macduff et Ballo, tous composés par Verdi. Depuis plusieurs années on me propose Don José que j'ai refusé, mais je viens d'intégrer l’air en concert avec orchestre. Il faut faire très attention à l'évolution de son instrument, j'ai refusé les Pêcheurs de perles au Met, que j'ai pourtant travaillé, mais ma voix commence à s'élargir et ce rôle est particulier. Gérald est plus facile que Nadir dont l'air est en demi-teinte ce qui pour une voix qui s'étoffe, comme la mienne, est risqué. Hoffmann oui, mais quelle version ? Celle en cinq actes est écrasante, la version spéciale du Met, pourquoi pas, avec des coupures pour alléger le rôle... nous verrons. J'ai la chance de pouvoir chanter des rôles extraordinaires qui pour le moment me suffisent amplement. Je viendrai à Don José, à Cavaradossi bien sûr, mais j'ai le sentiment que ces rôles viennent aussi en transition de quelque chose ; on va vers autre chose quand on les aborde, ce qui me fais patienter. J'ai également en projet Onéguine... Je suis heureux d'être ténor, même si de temps en temps je suis fasciné par des voix de basses profondes, puissantes, qui m'impressionnent : un vrai Commandeur par exemple, quel bonheur !
En 2014 au moment où vous répétiez La Vestale ici même au TCE, vous disiez combien le temps de préparation pratiqué dans ce théâtre était un luxe : la nouvelle production de Macbeth assurée par Mario Martone est-elle similaire ?
J.-F. B. : Oui bien sûr, mais vous savez je suis habitué à passer de spectacles préparés dans l'urgence à d’autres où nous avons, comme ici, du temps pour chercher, avec un metteur en scène scrupuleux, attentif aux lumières et à tous les détails. En France il faut du temps pour monter les plateaux ; à Vienne ou au Met, on répète le matin, l’après-midi on monte l’opéra du soir et le lendemain un autre titre est à l'affiche. Il y a plus de monde, plus de techniciens, le travail ne s'arrête jamais, c'est une autre conception, mais les deux sont à connaître. Ici nous prenons notre temps, puis après Macbeth, il y aura Maria Stuarda. Attention, le temps passé sur les nouvelles productions proposées à Vienne ou au Met peut durer cinq semaines, mais après elles seront reprises pendant des années. C'est comme ça !
Propos recueillis par François Lesueur, le 23 avril 2015
Verdi : Macbeth
Les 4, 7, 11 13 et 16 mai 2015
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
www.concertclassic.com/concert/macbeth-de-verdi-opera
Photo © www.musicaglotz.com
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