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La púrpura de la rosa de Torrejón y Velasco au Festival de Potsdam - Une leçon ! - Compte-rendu
Le Festival de Potsdam fait preuve d’une imagination débordante. Ce festival, intitulé plus précisément Musikfestspiele Potsdam Sousssouci, a été lancé il y a soixante-et-un ans. Ces dernières années, notamment sous l’impulsion de Jelle Dierickx (venu du Festival de Flandre), il s’est davantage spécialisé dans la musique baroque. Comme le veut naturellement sa localisation, dans les palais et jardins royaux de Sans-Souci, le Versailles prussien institué au XVIIIe siècle dans les environs de Berlin par Frédéric le Grand.
Un cadre, déjà, enchanteur. Auquel répond une programmation musicale qui lui dispute en plaisirs enchantés. Cette édition 2015 célèbre ainsi le thème approprié « Musique et jardins », à travers concerts, concerts-promenades et quatre productions lyriques maison. Et parmi celles-ci, une curiosité de premier plan : La púrpura de la rosa, créée en 1701 à Ciudad de los Reyes (actuel Lima). Opéra ou zarzuela, car en cette époque ces intitulés lyriques ne sont pas formellement tranchés en Espagne (dont le Pérou fait alors partie intégrante). En l’espèce, l’œuvre porte l’appellation « representación en música », sous-titrée « fiesta » en l’honneur du roi Philippe V d’Espagne, et s’apparente à un opéra ou une zarzuela sans dialogues parlés (comme tant d’autres).
C’est en tout cas l’une des premières œuvres lyriques écrites dans les Amériques, et la première à avoir entièrement survécu. Le compositeur, Tomás Torrejón y Velasco (1644-1728), natif d’Albacete dans la Mancha puis ensuite fixé au Pérou, reprend un livret de Pedro Calderón de la Barca, déjà mis en musique en 1659 par Juan Hidalgo (1614-1685, le grand initiateur de l’art lyrique espagnol). La trame conte les amours malheureuses du mortel Adonis pour la déesse Vénus. Mars le fera tuer par un sanglier – et son sang colore les roses blanches en rouge (d’où le titre : « La pourpre de la rose »). Mais Jupiter, du haut de son Olympe, réunira les amants pour l’éternité.
© Musikfestspiele Potsdam Sanssouci / Stefan Gloede
On est donc en pleine mythologie, propre au baroque, sans trait notable qui évoquerait le continent auquel l’œuvre était destinée. Il en serait de même de sa musique, caractéristique de l’art lyrique espagnol de ce temps, un Juan Hidalgo par exemple (dont on ne sait si Torrejón y Velasco s’est inspiré pour son ouvrage éponyme) : avec une forme d’arioso continu, entrecoupé d’ensembles et chœurs en structure verticale homophonique, et de lamentos, dont un sublime lamento final (qui ne déchoit pas face au Lamento d’Arianna de Monteverdi).
La partition avait été ressortie en 1999 à Genève et à Madrid, par Gabriel Garrido qui l’avait aussitôt gravée. Depuis, deux autres enregistrements sont venus s’ajouter, en compagnie d’une meilleure approche de l’ouvrage. C’est ainsi qu’à Potsdam, le maître d’œuvre et de cérémonie Eduardo Egüez, s’attache à rendre la restitution plus fidèle (que Garrido). Sont rassemblés huit solistes vocaux, un petit chœur de sept intervenants (l’ensemble Nova Lux) et un groupe instrumental, La Chimera, de douze participants. Les uns et les autres venus d’horizons géographiques variés, mais avec une large dominante hispanique. Et tous de s’acquitter dans une flamme vite communicative. Mentionnons les chanteurs solistes, absolument irréprochables et quasi entièrement féminins (puisque la musique espagnole de l’époque voulait que les rôles soient dévolus à des chanteuses, y compris pour les personnages masculins – tout l’inverse de l’Italie ou de l’Angleterre !) : Francesca Lombardi Mazzulli, Roberta Mameli, Mariana Rewerski, Anna Alàs i Jové, Magadalena Padilla, Olga Pitarch, Maximiliano Baños (un chanteur, mais contre-ténor) et Furio Zanasi (autre chanteur, baryton cette fois). Dans un ensemble d’égale perfection, entre la précision instrumentale et des voix associées, sous la conduite d’Egüez à partir de sa guitare baroque.
Mais l’enchantement se prolonge côté mise en scène. Magnifique surprise ! Hinrich Horstkotte fourmille d’imagination et de goût, transportant sur un plateau de moquette herbeuse, marionnettes et vêtures allégoriques dans une fête (une fiesta) d’artifices et de symboles. Le lieu de la représentation, l’Orangerie du château de Sans-Souci, d’un apparat seigneurial de circonstance avec ses colonnades et verrières plongeant sur les jardins et jeux d’eau en contrebas, contribue à ce rêve d’un temps lointain de complet raffinement. Les Allemands, décidément, donnent des leçons : pour savoir offrir des ouvrages hors des sentiers rebattus de la musique, dans une réalisation modèle. À quand une reprise de cette splendide production ? En France par exemple, où les festivals et institutions baroqueuses ne manquent pas.
Pierre-René Serna
Tomás Torrejón y Velasco : La púrpura de la rosa – Festival de Potsdam, Allemagne, 22 juin 2015.
Musikfestspiele Potsdam Sousssouci, jusqu'au 28 juin 2015 /www.musikfestspiele-potsdam.de
Photo : © Musikfestspiele Potsdam Sanssouci / Stefan Gloede
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