Journal
Carmen aux Chorégies d’Orange - Kaufmann conquiert le Théâtre Antique – Compte-rendu
Carmen encore et toujours, Carmen l'opéra de tous les superlatifs, le plus joué, le plus populaire, Carmen idéale pour les Chorégies, Carmen à nouveau à l'affiche de l’édition 2015. Après Larin/Monzon, Alvarez/Monzon et Alagna/Monzon, c'est au couple Kaufmann/Aldrich de donner de la voix et du corps à ce drame passionnel sur fond d'Espagne aride.
Loin du folklore habituel, le spectacle signé Louis Désiré (scénographe du Rigoletto monté en 2011) placé sous le signe du destin, avec cet immense jeu de cartes sur lequel évoluent les personnages, opte pour la sobriété sans chercher à faire dire à l’œuvre autre chose que ce qu'elle donne. La mise en scène profite de chaque pause orchestrale pour souligner le propos, de l'ouverture où Carmen charme Don José en l'arrosant de fleurs, à l'entr'acte du 3ème acte durant lequel Micaëla surprend les ébats de Carmen et José, en passant par celui du 4ème acte au cours duquel Escamillo habille Carmen de son capote de paseo, conquise tel un taureau dans l'arène, et évite les temps morts. Simple et sans accroc le travail est honnête à défaut d'être novateur ; mais faut-il le rappeler, ce n'est pas à Orange que l'on vérifie l'état de santé de la scène lyrique. Orange c'est avant tout la fête de la voix !
En confiant la cigarière et le soldat à deux grands artistes, qui ont déjà interprété le titre auparavant et même ensemble, au Met en 2010, aussi séduisants à écouter qu'à regarder, le directeur des Chorégies ne s'est pas trompé. La mezzo canadienne Kate Aldrich très présente sur le sol français, qui vient de chanter le rôle à Lyon dans l'audacieuse production d'Olivier Py, est une belle Carmen, à la voix sombre et bien timbrée, sans doute moins libre et affranchie que celle de Béatrice Uria-Monzon que le public n'est pas prêt d'oublier, mais dont le caractère binaire, la froide détermination et la fermeté des décisions s'accordent à cette héroïne imprévisible et détachée : ses « cartes » aux accents prémonitoires et son dernier affrontement face à un homme qui ne compte plus, sont de ceux des grandes titulaires.
Pour ses débuts in loco dans un opéra complet, Jonas Kaufmann (1) ne pouvait trouver meilleur rôle que Don José qu'il fréquente depuis 2006 et ne cesse d'approfondir. Son timbre fauve aux reflets irisés, la puissance de son émission, la souplesse des phrasés et la magie de ses aigus, jusqu'aux plus impalpables comme celui si convoité de la « Fleur », miraculeusement filé et chanté pianissimo, font la force de son inoubliable interprétation. Toujours aussi beau et crédible en scène, sincère et modeste, son José n'en a que plus d'impact, authentique nigaud capable du pire, d'une justesse terrible, que sa Carmen ait le visage d'Antonacci (la plus complète), de Kasarova, de Kožená, de Garanča, de Rachvelischvili ou d'Aldrich.
Autre carte maîtresse de cette distribution, l'excellent Escamillo de Kyle Ketelsen que nous n'imaginions pas – à tort – dans un tel rôle, après son Leporello poisseux imaginé par Tcherniakov (Aix 2010). Sans grande surprise Inva Mula, jupe bleue et natte tombante, se tire honorablement de Micaëla, Hélène Guilmette et Marie Karall mettant toute leur jeunesse au profit de Frasquita et de Mercédès. Le Zuniga de Jean Teitgen tire son épingle du jeu grâce à sa voix bien projetée et sa fine caractérisation, le duo Armando Noguera (Moralès) et Florian Laconi (Remendado) marchant également très bien.
Comme une partie du public - qui n’a pas hésité à le faire savoir - nous n'avons pas été convaincu par la direction laborieuse de Mikko Franck, peu inspiré par les tonalités complexes et la mobilité des climats imaginés par Bizet. Les membres du Philharmonique de Radio France suivent sans trop y croire les directives du chef finlandais pour un résultat qui s’avère souvent trop lent, privé de densité et de nervosité. Restent heureusement les Chœurs d'Angers, Nice et Avignon, et la Maîtrise des Bouches-du-Rhône dont on apprécie la couleur générale, la clarté et la préparation.
François Lesueur
(1) le ténor a fait sa première apparition aux Chorégies en 2006 dans le Requiem de Mozart
Bizet : Carmen – Chorégies d’Orange, 11 juillet, prochaine et dernière représentation le 14 juillet 2015 / http://www.concertclassic.com/concert/carmen-de-bizet-jonas-kaufmann-kate-aldrich
Photo © Philippe Gromelle Orange
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