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Le Requiem de Brahms par l’Ensemble Pygmalion au Festival de la Chaise-Dieu - Tout en finesse – Compte-rendu

Concerts stars, grands classiques, curiosités voire bizarreries, pièces d’orfèvrerie, le jeune directeur général du Festival de la Chaise-Dieu, Julien Caron, se bat pour multiplier les angles d’attaque dans sa pléthorique programmation, en prémices du 50e anniversaire, l’an prochain, de cette manifestation marquée à tout jamais par la patte de György Cziffra. Avec des atouts majeurs et nombre de difficultés : ainsi pour l’Auditorium à la merveilleuse acoustique mais doté de seulement 200 places, et surtout pour les voûtes impressionnantes de l’Abbatiale Saint-Robert, où toutes les harmonies ne résonnent pas à plein, et qu’handicapent encore des travaux de réfection qui devraient être achevées en 2018, si…
 
Lieux exquis comme Saint-Paulien, à 25km de la Chaise-Dieu, places et parvis notamment celui de la sublime basilique de Brioude, la musique s’y ancre dans un patrimoine puissant et parfois âpre. Les grands noms de l’année sont ceux d’Abdel Rahman El Bacha, de Nemanja Radulovic, de Laurence Equilbey, d’Edgar Moreau, de Max Emanuel Cencic,  les œuvres majeures la Messe en Si de Bach, le Requiem de Brahms, la 9e Symphonie de Beethoven, Israël en Egypte de Haendel, le Stabat mater de Pergolèse, les Vêpres solennelles de Mozart, La Création de Haydn, les Concertos de Chopin et Schumann, et une multitude d’entrelacs, notamment un Bach aux marimbas, mêlé à Gershwin et Hersant. Bref l’intérêt ne faiblit pas même si l’aventure comporte des risques, et c’est ce qui fait son charme : on l’a vu en trois concerts en tous points dissemblables.
 
Concert star évidemment que le Requiem de Brahms, avec l’Ensemble Pygmalion et son chef Raphaël Pichon (photo). La version proposée était ici celle pour chœur, solistes et deux pianos, écrite par Brahms en 1871 à la demande de son éditeur, pour permettre à l’œuvre de se mieux diffuser sans son lourd appareil orchestral. Musique écrite pour les vivants, plus humaniste que métaphysique comme le sont les Requiem catholiques, axés sur la peur du Jugement dernier. Brahms s’y inscrit dans la lignée luthérienne d’un Heinrich Schütz, retrouve les accents des antiques polyphonies, comme l’a su si bien faire entendre Sir Simon Rattle avec la Philharmonie de Berlin, dans un enregistrement de référence.
Tel n’est pas toujours le cas dans les interprétations traditionnelles, qui se chargent souvent d’une ampleur un peu étouffante, accentuée par la tradition néoromantique. La version pour chœurs et deux solistes, seulement soutenue par les deux claviers, permettait donc ici d’élaguer le discours et d’en faire ressortir la finesse poignante, surtout avec le support des voix si finement dosées des chanteurs de Pygmalion que Raphaël Pichon manipule avec une grâce aérienne, et la vigueur éclatante du baryton Christian Immler, tandis que la soprano Chantal Santon Jeffery avait du mal à arrondir les angles. Seul écueil, les sonorités des pianos, tenus par Tanguy de Williencourt et Alphonse Cemin, comme dévorées par les voûtes, étaient hélas quelque peu noyées. Un bémol donc pour cette subtile et émouvante interprétation, tandis que la première partie avait émerveillé avec des pièces de Schütz, Brahms et Mendelssohn a cappella, ciselées avec délicatesse.
 
En contrepoint de ce chef d’œuvre majeur et de sa forte interprétation, l’esprit de finesse, la grâce faite toucher et la mèche en bataille : Jean Rondeau, nouvelle étoile du clavecin, avait décidé de mettre son talent prodigieux et sa jeunesse inventive au service de Domenico Scarlatti, pour le régal du public. L’Auditorium Cziffra s’est donc transformé en sorte de club de jazz, libre et vivant, car après que Rondeau eut fait rêver avec huit Sonates, choisies non parmi les plus exubérantes, et jouées dans une sorte de rêverie, il s’est lancé en deuxième partie sur des improvisations pianistiques autour de trois d’entre elles, puis sur le Fandango du Padre Soler, alliant la parole au geste pour mieux faire comprendre sa démarche. Deux heures de pur régal, en ayant le sentiment qu’il aurait pu continuer à jouer toute la nuit, tant son instinct musical est puissant et sa joie contagieuse.

On oubliera, en revanche, la prestation de Mikhail Rudy, qui fut un bon pianiste, mais dont les qualités ont fondu au fil du temps : sous le titre ambitieux de "Concert pictural",  il jouait sous un écran sur lequel défilaient d’abord des images du plafond de l’Opéra de Paris peint par Chagall, un peu niaisement animées sur fond de Gluck, Mozart, Wagner, Debussy et Ravel, puis des sortes de graffiti et de traits enfantins gesticulatoires  empruntés à des esquisses de Kandinsky pour un spectacle de 1928 qui devait être tout autre, tandis qu’il s’attaquait douloureusement aux Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Tentative sommaire pour allier sons et musique. Il n’en restera que le souvenir gêné d’une étrange mixture et d’un concert de trop. Au sein d’une édition heureusement foisonnante.
 
Jacqueline Thuilleux
 
La Chaise-Dieu, Abbatiale Saint Robert, les 24 et 25 août 2015, Auditorium Cziffra, le 25 août 2015.

© Jean-Baptiste Millot

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