Journal
Le Trouvère à l’Opéra de Toulon - La force de frappe - compte-rendu
En regardant cette production, datée de quelques années, que l’Opéra de Toulon a importée du Teatro Verdi de Trieste, en association avec l’Opéra Royal de Wallonie, on mesure la terrible difficulté de cet opéra riche en merveilles vocales et orchestrales, mais si excessif dans ses horribles péripéties qu’il devient quasi impossible de leur donner quelque vraisemblance psychologique. Tout est dans la force de frappe, la puissance contrastée des situations, et dans l’art des maîtres d’œuvre de jongler avec ces états extrêmes. Pour ce faire, la mise en scène du napolitain Stefano Vizioli se maintient dans une sorte de réserve, émaillée de quelques incises dynamiques et symboliques réussies,- acrobates et soldats jonglant avec leurs épées, emblématiques de cette histoire de feu et d’acier- dans des décors prudents autant que traditionnels et des costumes qui ne craignent pas la couleur, sur fond de murailles et d’escaliers noirs ou anthracites. Du moins ne nuisent-ils pas à la surabondance de l’action sonore et dynamique. Une simplicité de bon aloi.
Le bonheur est ici dans le chef, Giuliano Carella, qui s’empare de cette partition exacerbée avec une énergie ne laissant guère place à la moindre mise en question: si l’Orchestre de Toulon, malgré toute son ardeur, si les chœurs et les solistes laissent parfois percer quelques faiblesses, elles sont vite englouties dans cette tempête profitable à la démence de l’histoire. Encore que le chef ait, pour encadrer les redoutables vocalises de Leonora, des moments de tendresse qui volent au secours de la soprano et laissent un peu rêver.
Cette Leonora, rôle sublime en raison des grandes scènes à retournement qu’il comporte, est incarnée par l’espagnole Yolanda Auyanet, qui tient vaillamment sa partie, même si scéniquement elle s’avère assez froide. Les aigus sont aisés, fluides, les vocalises un peu gommées, mais on apprécie en elle une vraie ligne de chant, une musicalité fine, qui parviennent à émouvoir. En face d’elle, deux mezzo parfaitement dissemblables :d’abord Marie Karall en Inès, dont ce soir là, il était annoncé qu’elle souffrait d’une indisposition. On n’en a guère eu l’impression, tant le placé de la voix, l’aisance, la largeur sont magnifiques, tandis que l’Azucena d’Enkelejda Shkhosa, pourtant réputée, s’avérait sans couleur ni portée, longue phrase monotone que Carella parvenait à animer de sa baguette magique. Les seconds rôles ont été tenus avec efficacité, notamment pour Ferrando (Adam Palka) et Ruiz (Jérémy Duffau), tandis que le Conte di Luna, incarné par Giovanni Meoni, paraissait bien statique, scéniquement et vocalement.
Mais on n’a pas tous les jours l’occasion de se réjouir d’une intervention de ténor aussi fracassante que celle que nous a offerte l’argentin Marcelo Puente. En entendant son di quelle pira éclatant, en admirant sa prestance et sa vaillance héroïques, en découvrant ce timbre clair et ensoleillé mais capable de se bronzer, on se dit que ce beau chanteur donne de l’espoir à ceux qui désespèrent de la déliquescence du chant verdien aujourd’hui, quelques stars exceptées. Un héros du XIXe siècle, romantique et fougueux, dont la voix va sûrement aller s’affermissant, en domptant ses quelques fragilités. Ne serait- ce que pour cette prouesse, il a justifié ces représentations, pour lesquelles il n’avait pourtant pas été prévu à l’origine puisque le grand ténor turc Murat Karahan devait incarner Manrico. Comme toujours, l’opéra ou le grand jeu !
Jacqueline Thuilleux
Verdi : Le Trouvère – Toulon, Opéra, 13 octobre 2015
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