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Tarmo Peltokoski, Sol Gabetta et l’Orchestre national du Capitole de Toulouse à la Philharmonie de Paris - Du rêve au doute – Compte rendu

Impossible de résister au programme exaltant proposé par l’Orchestre national du Capitole de Toulouse pour sa halte à la Philharmonie de Paris, avant une tournée allemande. La phalange toulousaine et son jeune directeur musical Tarmo Peltokoski (24 ans) associent le mythique Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy au vibrant Schelomo de Bloch interprété par Sol Gabetta, avant d’affronter la Symphonie n°1 de Mahler en seconde partie. Difficile alors de ne pas concevoir les plus hautes attentes pour cette soirée, quitte à connaître quelques interrogations.
Appel au rêve
Le Prélude à l’après-midi d’un faune, malgré une écriture d’une grande complexité, est un exemple de poésie et de liberté fondateur dans le répertoire français. Tarmo Peltokoski l’a bien compris et place la beauté au dessus de tout ; un choix qui confirme un style de plus en plus assumé par le chef finlandais. Dès les premières notes, la flûtiste Mélisande Daudet, excellente, séduit par son mysticisme et une évanescence toute mesurée, qui résonne dans la salle comme le plus éloquent des appels au rêve. Le parcours fantastique du faune est cependant perturbé par les entrées indélicates des vents et une progression trop contenue qui surjoue l’onirisme du Prélude, donnant plus dans le prélassement statique que dans une succession de décors.

© Romain Alcaraz
Une palette expressive étourdissante
Tant attendue, Sol Gabetta foule de nouveau la scène de la Philharmonie de Paris et entame le Schelomo – Rhapsodie hébraïque pour violoncelle solo et grand orchestre, monument du Suisse Ernest Bloch. Imperturbable sans oublier de dialoguer avec un orchestre dont elle intègre la sonorité avec un naturel saisissant, la soliste évoque à la fois les lamentations et la force résolue sur une palette expressive étourdissante. Sans maniérisme, Sol Gabetta hypnotise le public qui en oublie presque l’existence de l’orchestre. Il faut dire que ce dernier sait ajuster ses nuances pour laisser toute sa place au violoncelle, et n’éclater que dans les trois grands tutti lors desquels Tarmo Peltokoski reprend la main avec énergie (enfin !). La pièce s’achève comme à contrecoeur et Sol Gabetta, invaincue, répond aux acclamations en interprétant en bis Prayer from Jewish Life de Bloch (version pour violoncelle solo et orchestre), moment de grâce qui semble ne s’être jamais arrêté.

© Romain Alcaraz
Un entre-deux parfois déstabilisant
Il était tacitement convenu que la Symphonie n° 1 de Mahler soit le plat de résistance de la soirée. De fait il l’était, même si les choix artistiques du chef posent un étrange contraste entre des impressions qui auraient pu être davantage exploitées (on pense par exemple à l’ironie du second mouvement, effacée), et des atmosphères poussées à l’extrême (pianos presque inaudibles ou déchaînement quasi incontrôlé dans le finale). Tarmo Peltokoski fait évoluer l’orchestre dans un entre-deux parfois déstabilisant, qui présente tout de même de brillants instants. Le premier mouvement offre un long cheminement entre les timbres avant que le premier thème se fixe aux violoncelles. L’alternance entre la paix et le drame est palpable, le finale tout aussi éclatant qu’inquiétant. Le deuxième mouvement est sans coup d’éclat. Le suivant fait entendre l’émouvant canon sur le thème de Frère Jacques, superbement initié par une contrebasse volontairement gauche, seul instrument de l’orchestre à vraiment donner dans le funèbre. Le finale se révèle grandiose, en dépit du mauvais sort jeté à la petite harmonie qui, ce soir, tourne le dos à la verticalité. « Tourmenté et agité », échouant par deux fois avant de se dresser triomphalement propulsé par le pupitre de violons et des cuivres impérieux, l’ultime volet de la symphonie récolte des applaudissements nourris et... une tentative de standing ovation ?
Antoine Sibelle

Paris, Philharmonie, 4 mars 2025
Photo © Romain Alcaraz
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