Journal

Pénélope de Fauré à l’Opéra national du Rhin – « Une aussi longue absence ! » - Compte-rendu

En juin 2013 au TCE, Anna Caterina Antonacci et Roberto Alagna avaient accepté de fêter le 100ème anniversaire de la création parisienne de la Pénélope de Fauré, avec un résultat spectaculaire (1). Deux ans après, Olivier Py met en scène cet opéra réputé inmontable à l'Opéra du Rhin - où il a été représenté pour la première fois en février 1923. Œuvre à part dans l'histoire de la musique, qui en parlant de l'attente, celle de Pénélope pour Ulysse, parle également de celle de tout un peuple, pris entre deux mondes, l'ancien (le XIXe) et le nouveau (le XXe siècle), cette légende homérique permet à Fauré d’exacerber ces sentiment sans apporter de réponse, juste avant le cataclysme de la première guerre mondiale. Par son flux musical quasi ininterrompu malgré une structure en trois actes ramassés, son statisme et sa lente résolution - le retour d'Ulysse ayant lieu très tôt avant d'être définitivement reconnu -,  Pénélope est l'un des rares ouvrages à avoir suscité autant de fantasmes que de craintes, les ombres paralysantes de sa créatrice, Lucienne Bréval, puis des gloires qui l'ont défendue, de Lubin à Crespin sans oublier Norman, n'ayant pas favorisé la succession d'éventuelles titulaires.
 
© Klara Beck
 
Disposant d'une tragédienne comme il n'en existe plus, Olivier Py s'est sans doute senti porté par ce projet. Aidé comme toujours par son fidèle scénographe Pierre-André Weitz, le metteur en scène a pu appliquer sur ce poème lyrique ses recettes, son esthétique et son univers si particuliers et l'habiller de façon splendide. Le décor tout en mouvement, constitué de deux couronnes imbriquées l'une dans l'autre et qui tournent sur elles-mêmes, laissant tantôt apparaître des éléments découpés, tantôt disparaître différents niveaux pour créer des perspectives, accentuées par de hauts escaliers ou des crénelures qui évoquent d'antiques tours, le tout reposant sur un bassin miroitant, est tout simplement impressionnant : aussi fabuleux en tout cas que ceux réalisés pour Tristan und Isolde, et Les Huguenots, sans oublier celui imaginé au théâtre pour Adagio, Mitterrand le secret et la mort à l’Odéon en 2011. Les images animées qui nous parviennent apportent à l'action une incroyable densité, tandis que les personnages évoluent avec une précision chorégraphique.
 
Le bois noir de la structure, subtilement éclairé par Bertrand Killy, laisse par instant la place à quelques trouvailles visuelles comme l'apparition du linceul qu'est censée broder Pénélope pour son beau-père Laërte, immense drap blanc immaculé sur lequel se reflète en transparence le navire d'Ulysse voguant sur les flots, où la scène d'évocation de la vie d'Ulysse où danseurs et figurants jouent un étrange intermède. Si la direction d'acteur demeure sage, mais efficace, Py ne résiste pas à intégrer quelques scènes brûlantes qui viennent contrepointer un discours plus formel (plusieurs prétendants se livrant dans le plus simple appareil aux pratiques de l'amour avec de très compatissantes servantes...). Enfin la présence de Télémaque, fils d'Ulysse et de Pénélope, absent du livret de René Fauchois, réhabilité par ce jeune héros muet mais plein de courage, n'a rien d'anecdotique.
Investi lui aussi par le projet, Patrick Davin à la tête d'un très bel Orchestre symphonique de Mulhouse, confirme comme Fayçal Karoui au TCE, la beauté de la partition, son écriture puissante et savante sans pour autant éviter certaines longueurs, celle-ci manquant tout de même d'un moment-clé, d'un climax musical, d'une scène inoubliable qui, comme chez Strauss, balaierait tout sur son passage.
 
Bouleversante en concert avec Roberto Alagna, Anna Caterina Antonacci montre une nouvelle fois sa parfaite adéquation au rôle : recluse, drapée dans sa dignité de reine, elle attend immuablement, imperturbablement le retour de son mari, repoussant les prétendants, incapable de reconnaître Ulysse au premier coup d'œil sous les traits d'un vieillard. Déclamation superbe, fierté des accents, voix sombre et pleine, jeu intériorisé, elle est la Pénélope rêvée. Dommage que le duo formé au TCE n'ait pu être reformé – depuis le retrait du ténor d'Alceste à Garnier, cela n'aurait pas pu être envisageable – car Marc Laho malgré un impeccable français, chante comme son Hoffmann avec Py, de manière linéaire, sans aucune intention, ni émotion, ce qui limite sa prestation. Elodie Méchain interprète avec conviction le rôle de la nourrice Euryclée, Jean-Philippe Lafont celui d'Eumée et Edwin Crossley-Mercer, déjà présent au TCE, campe finement un brutal Eurymaque, le reste de la distribution ainsi que les Chœurs de l'Opéra national du Rhin n'appelant aucune réserve.
Ne ratez pas la diffusion de ce grand moment sur Arte le 20 mars 2016.
 
François Lesueur
logo signature article
(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/penelope-de-faure-au-tce-justice-est-faite-compte-rendu
 
 
Fauré : Pénélope – Strasbourg, Opéra national du Rhin, prochaines représentations (à Strasbourg) les 27, 29, 31 octobre et le 3 novembre, puis à Mulhouse les 20 et 22 novembre 2015 / www.concertclassic.com/concert/penelope-de-faure-0
 
 
Photo © Klara Beck
Partager par emailImprimer

Derniers articles