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La Belle et la Bête de Thierry Malandain, en avant-première à l’Opéra Royal de Versailles - Beau et sombre - Compte-rendu
C’est avec les vieux contes que l’on fait encore les meilleurs ballets ! Et les chorégraphes n’en finissent plus de puiser à ces sources de l’imaginaire mondial un renouvellement incessant pour leur modes d’expression, la portée de leurs messages, les fils à tresser pour remonter au plus profond des angoisses, des peurs et des désirs humains. Après les quêtes identitaires du XIXe siècle, les russes s’en emparèrent pour de grands spectacles, tandis que les Ballets de Diaghilev s’en détachaient ensuite, soucieux de sujets neufs. Mais le Kirov et le Bolchoï remirent à l’honneur ces féeries souvent lourdement démonstratives conçues pour montrer leurs superbes danseurs, et que Noureev à Paris allait imposer à Paris jusqu’à ces jours.
Pour les autres, Contes de Musaeus, de Perrault, de Grimm, d’Andersen, de Dumas sont revenus en foule inspirer les chorégraphes d’aujourd’hui, tels Neumeier (Cendrillon, La Belle au Bois Dormant, la Petite Sirène), et Jean Christophe Maillot ( La Belle, Cendrillon, Casse-Noisette) de Preljocaj (Blanche-Neige), et Maguy Marin (Cendrillon) à Béatrice Massin et Geneviève Massé, grandes dames du baroque . Aujourd’hui c’est Thierry Malandain, qui décidément trouve dans ces univers symboliques un répondant à ses questions, un tremplin pour ses sursauts, un jardin pour ses fuites.
On avait déjà eu à l’Opéra Royal de Versailles en 2013, un exemple de cette nouvelle inspiration, avec une Cendrillon qui depuis a fait un triomphe autour du monde, réclamée partout pour son chic inventif, sa vivacité piquante, sa douce poésie. Voici avec La Belle et la Bête, tiré de Madame Leprince de Beaumont, une nouvelle et toute autre embarquée au pays des contes, mais encore chez le Roi-Soleil où le ballet a été présenté en avant-première, avant la création officielle l’an prochain à la Biennale de Lyon. Le problème de Cendrillon était affectif, celui auquel Malandain s’est ici attaché est autrement profond, il soulève des vagues de méditations, et le chorégraphe toujours épris de quête métaphysique, voire mystique, s’y est plongé jusqu’à l’âme, qu’il fait incarner par une sorte de triade dont on perçoit difficilement la composante au début du ballet. Puis, comme il est normal dans une descente en soi, tout s’éclaire peu à peu et se fait nécessité.
© Olivier Houeix
Car contrairement à Cendrillon, beaucoup plus lisible, il s’agit ici d’un ballet codé, avançant à pas de loup pour dévoiler les ressorts cachés des êtres : la césure due aux apparences, la déchirure de la différence, le désir de transcendance. Malandain a repris de Cocteau (on rappelle son film fameux de 1946) le thème de la souffrance de l’artiste, partagé entre l’esprit et la chair, la forme et le fond, l’exposant avec le trio évoqué plus haut, deux hommes et une femme dont la présence intrigue fortement. Par delà la très habile registration de l’action grâce à des pans de voiles noirs qui manipulés sans cesse, définissent les lieux de l’action, l’artiste mène le jeu et s’en trouve dépassé.
Si pendant une première demi-heure, l’on cherche à décrypter une mise en place qui semble compliquée, tout en savourant une magnifique chorégraphie, la vraie rencontre des deux héros du conte fait basculer de l’attention à l’émotion. Dès lors, on est suspendus au duo qui oppose les deux êtres si dissemblables, bouleversés par la délicatesse avec laquelle leurs sentiments évoluent doucement, allant de la bestialité à la tendresse et à la sensualité, la souffrance de la bête, sa peur de se laisser apprivoiser et celle de la belle d’être conquise, au-delà des critères normaux de la séduction. Moments forts où la beauté des costumes de Jorge Gallardo, et du principal élément de décor, une table à pieds d’animaux, ajoute à la profondeur de l’échange dansé, progressant par séquences qui permettent à la Belle de revenir se montrer périodiquement, dans un état d’esprit mouvant.
Il arrive que de grandes œuvres chorégraphiques s’appuient sur des musiques mineures, ainsi du Pavillon d’Armide, peut-être le bijou le plus parfait ciselé par John Neumeier sur l’inconsistante musique de Tcherepnine, mais en général le choix de partitions fortes aide notablement. Malandain, ici, a frappé fort en mettant son conte sous le signe de Tchaïkovsky, avec des emprunts divers notamment à Eugène Onéguine et Hamlet. Mais l’essentiel y reste lié à la 6e Symphonie, la Pathétique, qui conduit vers une fin angoissante et lourde de sens, alors qu’on se demande si le chorégraphe va achever son ballet sur quelque pas de deux jubilatoire peut-être, comme il est d’usage. Mais non, les eaux glacées de l’Adagio final se referment sur un univers qui n’a été que rêve, un voile recouvre les danseurs, les ramène dans le néant, et l’artiste avoue son échec et son impuissance.
Heureusement les interprètes, parmi les meilleurs éléments du Malandain Ballet Biarritz, se sont pénétrés en profondeur de ce message complexe, et en graduent très finement l’évolution. De la belle et souveraine Claire Lonchampt, sortie d’un album romantique, à l’étonnant Mickaël Conte, Bête puissante aux sauts impressionnants et à la souffrance contagieuse, outre la superbe précision d’Arnaud Mahouy et la force expressive de Frederik Deberdt, père de la Belle. Parler ici de néo-classicisme s’impose par le style des portés, le dessin des ensembles, la qualité des costumes, élégamment traditionnels, et même l’intrusion de quelques pointes pour la petite Patricia Velazquez, dans le rôle de l’Amour.
Mais ce n’est là qu’un mot, pour essayer d’englober ce style si complexe, riche de strates pas toujours faciles à démêler, qui révèle l’originalité profonde de son auteur. Et le ballet est certainement à voir et revoir, pour mieux cerner sa subtile progression. On félicite aussi l’Orchestre Symphonique d’Euskadi, dirigé par son chef, le Letton Ainars Rubikis, qui après avoir été à la peine au début du spectacle, a livré un final de la Pathétique de la plus haute tenue.
Jacqueline Thuilleux
La Belle et la Bête (chor. Thierry Malandain), Versailles Opéra Royal, Versailles, 11 décembre 2015 (en avant-première)
Création/Première française : septembre 2016, Lyon
Tournées européenne puis internationale, à partir du 22 janvier 2016 (Bonn). www.malandainballet.com
Découvrez le reportage réalisé lors des répétitions à Biarritz : www.concertclassic.com/video/dans-les-coulisses-de-la-belle-et-la-bete-de-thierry-malandain
Photo © Olivier Houeix
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