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Chantier Fantasio / Interview de Thomas Jolly (Episode n° 1) – Première rencontre avec l’entremetteur en scène
Olivier Mantei, nouveau directeur de l'Opéra Comique (actuellement fermé pour travaux), a demandé au jeune et bouillonnant Thomas Jolly (né en 1982), de mettre en scène Fantasio d'Offenbach – ce sera sa première production lyrique - sous la forme d'un long chantier ouvert au public. Thomas Jolly et son équipe ont donc accepté de livrer le fruit de leur travail par étapes successives, au cours d'ateliers participatifs et interactifs. Première en France, ce long processus permettra de suivre la mise en œuvre du projet, de sa genèse jusqu'à ce soir de janvier 2017 où le rideau se lèvera sur un Fantasio atypique et attendu. Interrogé peu après la première présentation publique, Thomas Jolly, que nous retrouverons très régulièrement pendant ce « chantier Fantasio », nous a fait part de ses impressions
Comédien, metteur en scène et directeur de compagnie (1), vous allez porter au plateau votre premier ouvrage lyrique pour la réouverture de l’Opéra Comique, en janvier 2017. Auriez-vous accepté cette proposition s’il avait fallu vous y atteler de manière traditionnelle et non, comme ce sera le cas, dans le cadre d’un projet ouvert au public, à l’échange et à la transparence ?
Thomas JOLLY : L’écoute de Fantasio a été déterminante car je l’ai reçue comme un choc et elle m’a immédiatement donné envie de m'y intéresser. Comme je l'ai souvent dit, je ne suis pas un mélomane invétéré, je suis peu allé à l'opéra et les réactions que je peux éprouver sont très spontanées. Il est parfois compliqué d'expliquer pourquoi on apprécie ou pas une œuvre d'art, c'est pourquoi je fais souvent le rapprochement avec l’amour. En ce qui me concerne j'y réponds et je comprends plus tard (rires), en travaillant, ou en vivant une histoire. Fantasio s'est imposé à moi avec une force semblable à celle d'un désir irrépressible.
J'aurais pu accepter de faire autrement et de privilégier une première expérience lyrique différente, mais comme le projet d’Olivier Mantei s’inscrivait dans un dispositif original, lié à une longue période de travaux à l’Opéra Comique et permettait d'inventer un nouveau rapport à la création, j'ai accepté sa proposition. Il faut dire que je sortais de la mise en scène d'Henri VI de Shakespeare sur laquelle j'avais testé le principe d'une création en ouverture-publique, en chantier à vue et avoué, et cela m'a convaincu d'accepter, car je vais pouvoir apprendre à faire un opéra en même temps qu'il se monte.
Le retour du Fantasio d’Offenbach, titre quasiment inconnu, sur la scène du Comique, n’est pas anodin, puisqu’il s’agira d’une version totalement remaniée sur laquelle vous pourrez intervenir notamment sur les parties parlées. Était-ce également un critère pour vous faire venir à l’opéra, qui explique peut-être la raison pour laquelle vous avez refusé de mettre en scène Hamlet de Thomas, également proposé par Olivier Mantei ?
T. J. : Le fait que ce soit au départ Musset, qu'il y ait des parties théâtrales à jouer est très important et d'ailleurs je crois qu'il s'agit d'une belle opportunité pour moi comme pour Marianne Crebassa (2) qui est très demandeuse et nous allons faire se rencontrer ces pratiques sur une œuvre qui le permet grandement. J'ai de plus eu l'autorisation d'aller piocher dans la pièce, ce qui va me permettre de glisser ce que je crois être des éléments clés qu'avait mis de côté Paul de Musset (3) dans son livret, pour gagner en romance.
La pièce de Musset est plus noire que celle de Paul, plus consensuelle. Musset pose davantage de questions sur les rapports au monde, à la politique, à l'imaginaire, à la jeunesse et à l'Art : c'est plus complexe. Du coup c'est formidable pour moi d'avoir la possibilité d'intervenir. Des ateliers seront entièrement dédiés au théâtre ; je vais faire travailler mon équipe pour mettre en place des principes expérimentés au théâtre.
Le fait que vous croyiez aux vertus de l’appropriation des œuvres par le public, par l’interaction, l’aspect work in progress va forcément apporter des données, des retours qu’il va falloir gérer, trier et prendre en compte. Comment allez-vous vous y prendre pour les intégrer à votre démarche créative ?
T. J. : Ce sont des indicateurs ! Parfois ces retours permettent de valider ou d'invalider une direction et créent ainsi de nouvelles angoisses, mais mon grand principe est de de rendre l'œuvre claire et lisible. Elle n'est pas difficile d'accès, pour autant l'opéra est un art qui peut faire peur, intimider c'est pourquoi je souhaite que l'on puisse entrer dans les coulisses et constater que Fantasio est aussi accessible qu'un livre ou un film et que les clefs ne sont pas si complexes à se procurer. Après, je ne vais pas faire un spectacle pour le public, je n'ai aucune volonté démagogique, mais les ateliers sont faits avec le public, ce qui n'est pas la même chose. Je ne vais pas simplifier, mais chercher à trouver scéniquement le moyen de rendre cet ouvrage accessible. Je me qualifie souvent d'entremetteur en scène, sans jeu de mots, car je n'oublie jamais que nous sommes face à des œuvres terminées, immuables, avec des tempi, des notes, interprétés par des artistes qui sont des matières mouvantes, pour un public qui, par essence, change chaque soir.
De g. à dr. : Katya Krüger (dramaturge), Marianne Crébassa & Thomas Jolly © Fabrice Labit
Au théâtre, bien qu’entouré par une équipe, vous êtes seul maître à bord ; celui qui au bout du compte arbitre, décide, donne le cap. A l’opéra vous devrez cohabiter avec le chef d’orchestre : comment imaginez-vous sa fonction et la répartition des tâches ?
T.J. : Je me suis toujours considéré comme un artisan. Dans toutes les œuvres mises en scène, l'auteur vivant ou mort est le maître et je ne suis que son traducteur scénique. Je n'impose pas une idée, je déteste avoir un point de vue, car il est écrit par l'auteur, le compositeur ou le librettiste. Je suis celui qui est censé traduire cela, car le metteur en scène pour moi n'est pas l'artiste premier. Laurent Campellone (qui dirigera la production de l’Opéra Comique ndlr) doit lui aussi rendre vivante une matière jetée au préalable sur le papier, mais précise, car un sol est un sol, alors que le mot amour au théâtre peut être dit de mille façons. C'est de cela que je vais discuter avec lui, tenter de comprendre comment il s'approprie la partition qui est notre bien commun et ce qui nous relie.
Ce principe de transparence, de mise en lumière d’un dispositif de création n’est pas nouveau, on l’a vu avec les ateliers ouverts au public en danse, au théâtre avec les restitutions ou les sorties de résidences et à l’opéra avec les portes ouvertes aux répétitions, mais ce qui sera réalisé autour de Fantasio, sur le long terme, constitue une première. Cela veut-il dire que le principe de création à l’écart du monde, à l’abri des regards est à terme remis en cause, voire voué à disparaître ?
T.J. : … Cela ne donne pas les mêmes objets ! Je suis d'une génération où ces pratiques sont courantes, mais aujourd'hui il est bon que la culture soit transparente et accessible, que l'on redise que tout le monde est le bienvenu et que l'accès à l'art n'est pas qu'une question de prix de place. Je ne travaille pas pour moi même, mais avec cette volonté que le public soit en permanence avec moi, le jeune, le vieux, l'habitué, l'abonné, le prof, le retraité, j'aspire à contenir l'humanité dans mon regard et essaie de traduire comment moi, auditeur lambda, j'ai ressenti des choses, des émotions la première fois ; c'est ça qu'il faut retranscrire scéniquement, en images. Le petit comité, le secret, a des vertus, mais je n'ai pas envie de travailler dans un bunker, je suis ici, maintenant, au milieu du monde, dans mon temps, dans une époque donnée, avec ses problématiques, ses doutes et il y en a ! Alors autant essayer de rendre la culture fédératrice et questionnante. Non ?
Propos recueillis par François Lesueur, le 14 décembre 2015
(1)Compagnie La Piccola Familia www.lapiccolafamilia.fr
(2) Interprète du rôle-titre, qu'elle a déjà chanté à Montpellier en juillet 2015 / lire le CR : www.concertclassic.com/article/fantasio-au-festival-de-radio-france-et-montpellier-un-autre-offenbach-compte-rendu
(3) Paul-Edme de Musset (1804-1880), frère aîné d'Alfred de Musset (1810-1857)
Photo (Marianne Crébassa et Thomas Jolly) © Fabrice Labit
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