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Rencontre avec… Serge Baudo – Sculpteur d’émotion
Un trésor national vivant : ainsi désignerait-on au pays du Soleil-Levant un artiste de la stature de Serge Baudo (né en 1927). Son prochain projet, officiellement le dernier d’une très longue carrière, Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Toulon, a été l’occasion d’une rencontre avec l’artiste, de passage à Paris en décembre dernier.
Louis Fourestier : la rencontre déterminante
Autour d’un café, avec la simplicité et la courtoisie des Grands, le maestro se plonge dans ses souvenirs, innombrables. Quelques doutes parfois sur les dates, mais les visages, les expériences, les émotions demeurent, intacts, dans sa mémoire. Une longue et riche carrière vers laquelle le jeune étudiant du Conservatoire de Paris s’était dirigé sous les encouragements - au départ prudents - de son père, hautboïste à l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, chez Lamoureux, etc. « J’avais obtenu mon Prix d’harmonie chez Jean Gallon, premier nommé – devant Pierre Boulez, précise Serge Baudo avec un brin de malice – ainsi que mes Prix de percussion et de musique de chambre. J’avais envie de tenter ma chance dans la classe de direction. « Présente-toi et je me permettrai de te dire ce que j’en pense », m’avait alors glissé mon père. Il m’a finalement conseillé de poursuivre et… ça ne m’a pas mal réussi ! »
Première année avec Eugène Bigot, « grand technicien, mais rigide sur le plan de l’interprétation » ; les bases du métier, solides, sont posées. C’est durant les deux années suivantes, auprès de Louis Fourestier, que la vocation du jeune musicien s’épanouit. « Ça a été l’ouverture, se souvient-il, avec un homme remarquable, un grand érudit. Il avait l’art de vous faire découvrir une partition, de vous montrer comment l’étudier, comment la mémoriser, pour ensuite l’interpréter. C’est ce qui était le plus fascinant dans son enseignement ». Sans parler de « la passion de la musique française » de cet irremplaçable professeur.
Percussionniste et observateur
En 1949, Baudo obtient son prix de direction, mais le chef ne prendra véritablement son envol qu’à la fin des années 1950. Pour l’instant, le musicien doit gagner sa vie : il est percussionniste à l’Orchestre Lamoureux, à l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire ou à l’Opéra de Paris. Irremplaçable poste d’observation : Furtwängler, Erich Kleiber, Bruno Walter, etc. … Serge Baudo apprend de tous ces maîtres. Au mitan des années 50 à l’Opéra, la Tétralogie (à deux reprises) sous la baguette de Hans Knappertsbush le marque tout particulièrement. « C’était un personnage étonnant, qui m’a appris beaucoup. Il ne disait presque rien pendant les répétitions mais, d’un simple regard, parvenait à obtenir des choses stupéfiantes des musiciens.»
Une leçon pour la vie : « « Le chef n’est pas là pour battre la mesure, mais pour la faire exprimer. Il faut tenir l’orchestre dans les mains, en façonner la sonorité comme un sculpteur façonne l’argile. »
1958 : Serge Baudo franchit le pas et abandonne la vie de musicien d’orchestre pour se consacrer pleinement à la baguette. Henri Barraud (1900-1997), l’une des personnalités les plus avisées de la vie musicale française d’alors, ne s’y trompe pas et lui confie en 1959 la direction de l’Orchestre de Radio-Nice-Côte-d’Azur. Excellent tremplin qui permet au jeune chef de se faire remarquer. Fondateur des Jeunesses Musicales de France, René Nicoly le programme pour des tournées avec l’Orchestre de chambre de Louis de Froment. En 1962, Baudo fait ses débuts dans Bolivar de Darius Milhaud à l’Opéra de Paris, où il sera chef permanent jusqu’en 1965.
La musique de film a beaucoup compté aussi à ses débuts. Joseph Kosma, qui l’estime grandement, lui confie la direction de certaines de ses partitions, dont celle pour Le Déjeuner sur l’herbe de Jean Renoir (1959). «Une expérience et une école de concentration irremplaçables », dit Baudo de sa relation avec le cinéma. Un peu plus tard, en 1963, il écrira et dirigera la musique pour Le Monde sans soleil, documentaire de Jacques-Yves Cousteau.
Une relation privilégié avec Prague
Hasard, c’est par l’intermédiaire de Kosma qu’un chapitre essentiel de l’activité internationale de Serge Baudo s’ouvre. Le compositeur a un très bon ami à Prague et, par son intermédiaire, contribue à y faire engager le chef. A partir de ce moment, celui-ci va nouer des relations privilégiés avec l’Orchestre Philharmonique Tchèque, mais aussi avec l’Orchestre Symphonique de Prague (le FOK) dont, bien plus tard (de 2001 à 2006), il assurera la direction musicale. « Ce n’est pas pour l’argent que l’on allait là-bas, se souvient Baudo, mais pour l’amour de la musique, pour les conditions idéales dans lesquelles elle se pratiquait. Leur discipline me subjuguait – quelle différence avec les orchestres français de l’époque … » Au fil des ans, l’artiste tisse des liens d’amitiés avec Ančerl, Neumann ou encore Smetaček, personnalité moins connue chez nous mais qui lui était visiblement chère.
1967 : Serge Baudo est au côté de Charles Munch au moment de la transformation du vieil Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire en Orchestre de Paris. « Un événement colossal dans ma carrière », dit-il de cette étape et de la complicité avec son grand aîné. L’année suivante, la formation entreprend une tournée aux Etats-Unis. Serge Baudo, arrivé peu auparavant à Richmond, apprend le 7 novembre au matin le décès de Munch, avec lequel il avait dîné la veille. Il doit assurer le concert du soir : la Symphonie fantastique est en pleurs …
A la tête de l'Orchestre national de Lyon
Pelléas et Mélisande à la Scala en 1966, on va y revenir, débuts au Metropolitan Opera et à l’Opéra de Vienne en 1970, la carrière internationale de Baudo connaît un bel essor au tournant de la décennie. Mais le chef est très actif en France aussi. Directeur musical de l’Opéra de Lyon de 1969 à 1971, il succède à Louis Frémaux à la tête de l’Orchestre Philharmonique Rhône-Alpes, qui se transforme en Orchestre national de Lyon en 1972. Jusqu’en 1986, Baudo tiendra les rênes d’une formation qu’il implique dans le Festival Berlioz dont il est l’initiateur en 1979 (il en assure la direction artistique jusqu’en 1989).
Avec le Festival Berlioz évidemment, mais pendant tout son règne à l’Orchestre national de Lyon, le chef aura eu bien des occasions de manifester son amour - et sa curiosité - envers le répertoire français. La musique de Debussy a évidemment fait l’objet de beaucoup d’attention de sa part, dont Pelléas et Mélisande (d’ailleurs enregistré en 1978 avec Claude Dormoy, Michèle Command, Gabriel Bacquier, etc., et l’Orchestre national de Lyon) .
Pelléas et Mélisande : de la réserve à la passion
Pelléas et Mélisande : Serge Baudo voue une vraie passion à cette œuvre, mais… il lui aura fallu l’apprivoiser. « A mes débuts, j’aimais tout Debussy, mais pas Pelléas, reconnaît-il avec la plus parfaite franchise. C’est d’abord ma femme, qui avait assisté la veille à une représentation au Comique, alors que travaillais à l’Opéra, qui m’a offert la partition. Un peu plus tard, le compositeur Louis Beydts m’en a lui aussi apporté un exemplaire. » Le chef s’est alors plongé dans un ouvrage qui, peu à peu, l’a conquis… et qui allait jouer un rôle essentiel dans sa vie de musicien.
1966 : coup de téléphone du secrétaire de Karajan à Baudo : le maestro souhaite que son collègue se rende à la Scala pour préparer l’orchestre en vue de la production venue de Vienne qu’il doit bientôt diriger. Le Français se rend à Milan, accomplit sa tâche et, de retour à Paris, apprend que Karajan, souffrant, déclare forfait. Retour précipité en Italie, et débuts à la Scala – et dans Pelléas !-, en remplacement de l’Autrichien. « J’ai eu seulement une heure de raccord avec les chanteurs avant la générale… et tout s’est très bien passé. »
Depuis, l’ouvrage de Debussy n’a pas quitté Serge Baudo. C’est même lui qui aura réussi à convaincre Gabriel Bacquier, réticent à aborder Golaud, de se plonger dans un rôle où il s’est illustré par la suite. « Debussy est inclassable, quelle audace folle montre-t-il dans Pelléas. Une chose fondamentale pour les interprètes : il ne faut jamais oublier que c’est du théâtre lyrique, du théâtre chanté. Quant à l’orchestre, c’est une immense symphonie qu’il ne faut pas lâcher un seul instant, qui n’est faite que de tension et d’émotion. »
Toulon reprend pour trois représentations une production de l’Opéra de Nice, signée de René Koering, dans une très sobre scénographie de Virgile Koering. Avec une équipe de chanteurs français (Sophie Marin-Degor, Guillaume Andrieux, Laurent Alvaro, Nicolas Cavallier, Guillemette Laurens) et l’Orchestre de l’Opéra de Toulon, formation qu’il connaît bien et apprécie pour avoir donné les Dialogues des Carmélites et plusieurs programmes symphoniques avec elle, Serge Baudo s’apprête à retrouver Pelléas et Mélisande. Avec un bonheur immense ; avec un pincement au cœur aussi : « tout a une fin, j’ai eu une carrière formidable »…
Alain Cochard
(Entretien avec Serge Baudo réalisé le 9 décembre 2015)
Debussy : Pelléas et Mélisande
26 janvier, 29 janvier et 31 janvier 2016
Toulon – Opéra
www.operadetoulon.fr
Photo © DR
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