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Succession de Jean-Pierre Leguay à Notre-Dame de Paris –Vincent Dubois nommé sur concours organiste titulaire
Pour la succession de Jean-Pierre Leguay (1) – dont on pourrait presque se demander s'il souhaitait véritablement renoncer à sa position d'organiste titulaire au grand orgue de Notre-Dame de Paris, dont il devient « organiste émérite » (même intitulé que pour Jean Guillou à Saint-Eustache mais pour un contenu que l'on imagine tout autre) – le diocèse a organisé un concours de recrutement (2), presque en interne, pensé bien davantage comme un examen pointilleux de conservatoire que comme la présentation et l'audition d'un grand musicien dont la cathédrale aurait souhaité s'attacher le talent (aucune pièce libre avant la finale, que du répertoire imposé, avec épreuves liturgiques, également à l'orgue de chœur). Force est de dire qu'il a été bien difficile d'obtenir des informations sur certaines étapes de la procédure. Ainsi du nombre de candidats s'étant présentés à la sélection initiale, sur dossier : on évoque une vingtaine de noms seulement, soit sensiblement moins que pour Saint-Eustache, concours (mêmes organisateurs au nom du diocèse) dont le déroulement en 2015 a échaudé une partie de la profession – étant allés jusqu'à imaginer que ce concours de Notre-Dame pourrait n'être guère ouvert, certains grands noms auraient tout simplement pensé que le jeu n'en valait décidément pas la chandelle.
Entre autres choses étranges : la composition du jury (officiellement de quatorze membres – mais douze votants) – « nommé par Mgr André Vingt-Trois, cardinal-archevêque de Paris, représenté par son évêque auxiliaire, Mgr Jérôme Beau » – n'a pas été publiée avec le règlement dudit concours, les candidats l'ayant découverte lors de l'épreuve en forme d'entretien, alors que chacun sait, dans la mesure où tout le monde se connaît dans le vaste petit monde de l'orgue, que l'on se présente à tel ou tel concours également en fonction des jurés auprès desquels on pense avoir, ou pas, une chance de succès, comme dans bien des domaines. On notera que l'État – propriétaire de l'édifice et du mobilier, donc du grand orgue, récemment de nouveau restauré et dont l'agrandissement en 2014 sur fonds publics a fait polémique – n'était pas partie prenante, alors que le parfait respect des prérogatives de l'affectataire de l'instrument, le clergé, ne s'y opposait nullement, ne serait-ce que pour rappeler qui finance.
Neuf candidats, dont les noms ne semblent pas davantage avoir été publiés, furent en définitive retenus, puis cinq (épreuves à huis clos) et enfin deux pour la finale (en public). Les cinq candidats de la demi-finale étaient : David Cassan (né en 1989), Vincent Dubois (né en 1980), Samuel Liégeon (né en 1984), Karol Mossakowski (né en 1990) et Vincent Warnier (né en 1967). Dans la mesure où parmi les exigences envers les candidats figuraient les points suivants : « Avoir une parfaite connaissance des répertoires de la musique d'orgue et une expérience confirmée en matière d'harmonisation, d'improvisation, d'accompagnement et de transposition ; avoir une excellente connaissance de la liturgie catholique et de l'accompagnement liturgique (chant grégorien, polyphonies, solistes et assemblée) », et plus encore : « En adéquation avec le caractère exceptionnel du lieu, il (elle) devra justifier
d’une carrière de musicien(ne) internationalement reconnue et de compétences liturgiques éprouvées » [aucune candidate retenue, naturellement] – on se demande comment la jeunesse de certains postulants, chaque fois doublée d'un talent que nul ne contestera, pouvait ne pas entrer en contradiction avec de telles et légitimes exigences.
Et ce d'autant qu'en finale se retrouvèrent en lice Vincent Dubois et Karol Mossakowski – si parmi les cinq un seul pouvait prétendre à une longue et indéniable connaissance de la fonction d'organiste liturgique sous tous ses aspects, parallèlement à une riche carrière de concertiste international, c'était naturellement Vincent Warnier, qui fêtera cette année ses vingt ans d'heureux titulariat, au côté de Thierry Escaich, à Saint-Étienne-du-Mont : la tribune de Maurice Duruflé, évincé en son temps de la succession de Vierne à Notre-Dame… Vincent Warnier éliminé au profit de Karol Mossakowski, presque en manière de faire-valoir de Vincent Dubois ? – afin de pouvoir proclamer, à l'issue de la finale : voyez, y a pas photo ?
Sans y voir malice, et toujours concernant la composition du jury, nullement diversifié et d'une impartialité sur laquelle on peut s'interroger, quelques éléments dans le désordre quant aux deux finalistes. Vincent Dubois a été élève d'Olivier Latry et de Philippe Lefebvre (au jury en tant que titulaires, ainsi que Jean-Pierre Leguay) – le plus souvent, par exemple dans les jurys de concours internationaux, on s'abstient quand vient le tour d'un ancien élève. Tous trois ont fondé la très active association Orgue en France – dont Vincent Dubois a quitté la codirection l'année dernière pour cause de surcharge de travail. Karol Mossakowski a été élève d'Olivier Latry, de Philippe Lefebvre et de László Fassang (également membre du jury). Auquel siégeaient par ailleurs le grand organiste et pédagogue Louis Robilliard (mais qui actuellement remplace Olivier Latry au CNSM de Paris pour un trimestre) et Johann Vexo (apparemment non initialement prévu), organiste suppléant à l'orgue de chœur de Notre-Dame (et titulaire du grand orgue de la cathédrale de Nancy) ainsi que professeur d'orgue au Conservatoire d'Angers – nommé à l'époque où Vincent Dubois en était le directeur-adjoint ? Vincent Dubois, nommé à Angers en 2005, est ensuite devenu directeur du Conservatoire de Reims (2008) et dirige actuellement l'une des institutions majeures de l'Hexagone : le Conservatoire et l’Académie supérieure de musique de Strasbourg. À ce titre, il est le supérieur hiérarchique d'un autre membre du jury qui vient de le nommer à Notre-Dame de Paris : Dominique Debès, professeur de formation musicale au Conservatoire de Musique de Strasbourg, maître de chapelle et titulaire de l'orgue de chœur de la cathédrale de la capitale alsacienne – et… de Philippe Lefebvre, qui après avoir été pendant plus de vingt ans directeur du Conservatoire de Lille, mais aussi professeur au CNSM de Paris, enseigne actuellement l'improvisation au Conservatoire de Strasbourg ! Faut-il avoir mauvais esprit pour trouver que cela fait beaucoup ?
Bref, « on » voulait Vincent Dubois à Notre-Dame de Paris. Et avec de bonnes raisons, sans nul doute. Car le musicien témoigne d'ores et déjà d'un parcours éclatant ponctué de hauts faits. Outre quantité de prix dans différents conservatoires, dont le CNSM de Paris bien entendu, il a été le premier Français à remporter l'illustre concours de Calgary (Canada) mais aussi le Concours Xavier Darasse de Toulouse en 2002 – on garde en mémoire son somptueux programme Liszt (BACH, Weinen, Klagen puis Ad nos !) sur le Cavaillé-Coll de Saint-Sernin. Nommé organiste de la cathédrale de Saint-Brieuc, sa ville natale, il a ensuite été titulaire de la cathédrale de Soissons, instrument illustré par les Duruflé, sans que sa position d'organiste de cathédrale n'ait, semble-t-il, constitué le cœur de son activité.
Car Vincent Dubois fait partie de cette lignée d'organistes directeurs de conservatoire, une spécialité française : ainsi Marcel Dupré au Conservatoire de Paris (mais sur le tard, sans que cela ait empiété sur son parcours de compositeur et de concertiste) ou Pierre Cochereau (à Nice puis au CNSM de Lyon – il s'y épuisa jusqu'à y laisser la vie). Et bien sûr Philippe Lefebvre à Lille, grande institution, ou encore Jacques Taddei, qui fit des merveilles au CNR, rue de Madrid, dont le maître d'œuvre et premier directeur avait été Olivier Alain. Avec le risque maintes fois vérifié, sachant la lourdeur des tâches incombant au directeur d'un grand conservatoire, de ne laisser qu'une place insuffisante à la musique proprement dite (indépendamment de la conservation des moyens techniques, en fonction des dons de chacun et du temps consacré à travailler l'instrument) dans la vie même du musicien.
Pour conclure, outre le fait qu'il serait temps de cesser de prendre le public mélomane pour (euphémisme !) plus naïf qu'il n'est, on ne peut que reposer la question formulée au moment de la succession de Jean Guillou : le clergé, affectataire, est libre de nommer qui bon lui semble, donc pourquoi ne pas avoir tout simplement le courage de faire valoir ce droit à nommer qui l'on veut, dès lors bien sûr que l'heureux élu est à la hauteur de la mission ainsi confiée ? Cela valait pour Saint-Eustache, cela vaut pour Notre-Dame. Pour le reste, on se réjouit de pouvoir entendre très bientôt sur l'orgue incomparable de Notre-Dame de Paris son nouveau titulaire et brillant virtuose, Vincent Dubois.
Michel Roubinet
(1) www.jeanpierreleguay.com
(2) Annonce du recrutement
www.paris.catholique.fr/IMG/pdf/ndp_annonce_recrutement.pdf
Règlement et épreuves musicales du concours
www.notredamedeparis.fr/IMG/pdf/REGLEMENTCONCOURSGO2015.pdf
Site Internet :
Nomination de Vincent Dubois au grand orgue de Notre-Dame de Paris
www.notredamedeparis.fr/spip.php?article1998
Photo © DR
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