La figure d'Emilia Marty, mystérieuse et fascinante cantatrice, ne pouvait pas laisser Robert Carsen indifférent, lui qui aime tant observer les drames depuis les coulisses et montrer l'envers du décor pour mieux mettre à jour la complexité des âmes. Comme dans Tosca, Capriccio, Don Giovanni, Mefistofele ou Les Contes d’Hoffmann, Carsen et ses complices, le couple Boruzescu (décors et costumes) ont choisi le théâtre, la scène, les changements à vue, les pleins feux et les loges, pour raconter l'étrange destin d’une héroïne qui, bien qu'immortelle, n'aspire qu'à la mort. De la diva adulée dont nous suivons dès le prologue les multiples métamorphoses au gré des rôles et des costumes qu'elle endosse, à cette femme attirante et manipulatrice qui, telle la Loulou de Louise Brooks, obtient des hommes ce qu'elle désire, le portrait est complet.
 

© Alain Kaiser

Brillamment défendue par la forte personnalité d'Angeles Blancas Gulin (qui succède à Cheryl Barker présente en 2011), comédienne au jeu très sûr et soprano à la voix puissante et malléable – dont les aigus parfois aigres rappellent ceux d'Anja Silja, autre grande titulaire - cette lecture scéniquement pertinente fonctionne parfaitement, éclairant l'intrigue d'un regard acéré.
Dessinée avec justesse, qu'il s’agisse de l'Albert enflammé de Raymond Very, du cauteleux Prus de Martin Barty, du fragile Janek (Enrico Casari), de l'insidieux Dr Kolenaty (Enric Martinez-Castignani) ou du vieil employé Vitek, brossé par l’inénarrable Guy de Mey, cette cohorte malveillante qui se déchire les lambeaux d'Emilia est admirable.
A l’image de la direction musicale de Marko Letonja à la tête d'un Philharmonique de Strasbourg survolté, dont la sveltesse des phrasés et les accents vigoureux s'accordent avec l'âpreté du discours orchestral, d'une éternelle modernité.
 
François Lesueur

Janáček : L’Affaire Makropoulos – Strasbourg, Opéra, 9 février, prochaines représentations les 16 et 18 février ; le 27 février 2017 à Mulhouse (La Filature) / www.operanationaldurhin.eu

Photos © Alain Kaiser