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Paradis Perdus par le Ballet du Capitole - Angoisse et solitudes - Compte-rendu
Une manière de première pour le Ballet du Capitole que cette intrusion dans un lieu exceptionnel, l’auditorium Saint-Pierre-des-Cuisines, aménagé dans une ruine médiévale, -la plus vieille église du sud-ouest puisque construite au Ve siècle dans sa première version- devenue une salle à forte identité où quatre cents personnes s’installent dans des conditions idéales. Sous ce qu’il reste de voûtes en brique, d’ogives et de bribes de vitraux et de fresques, avaient lieu jusqu’ici, outre des concerts, des démonstrations faites pour familiariser le public avec la danse.
Là, Kader Belarbi, qui témoigne une fois de plus de son habileté à habiter les espaces et à sentir les styles, a construit un programme « de chambre », puisqu’il ne met en scène que quelques danseurs, axé sur une thématique qu’il intitule Paradis Perdus, trois histoires de solitudes, de morts sacrificielles et d’enfermement carcéral
Rien de joyeux certes dans tout cela mais pour Belarbi, qui s’est fait une spécialité de garder l’héritage classique en revisitant quelques grands ballets du répertoire (un fabuleux Giselle récemment) ou en créant d’autres sur la forme néo-classique, comme sa Reine Morte, une bulle de liberté lui permettant de retrouver des formes concises, qui conviennent parfaitement à une expression plus contemporaine.
Avec Salle des Pas perdus, c’est un peu de son histoire qu’il fait revivre, car en 1997, date de sa création à l’amphithéâtre de l’Opéra-Bastille, il était au faîte de sa gloire d’étoile, mais tourmenté par le démon de l’ailleurs. Certes, ce style est marqué par son temps, qui depuis s’est un peu détaché des recherches néo-bauschiennes. Mais, avec ces quatre personnages esseulés qui se croisent et se touchent sans qu’une histoire véritable en émane, on pénètre dans un désert d’âmes perdues, enfermées dans leurs drames ou leurs mémoires, avec de magnifiques attitudes , des crispations où l’exemple d’un Mats Ek passe aussi -bel héritage- et un chemin d’errance qui étreint. La pièce, jouée par le pianiste Julien Le Pape sur des pièces de Prokofiev, a en outre l’avantage d’être merveilleusement cadrée par ce lieu hors normes.
On mesure le chemin parcouru avec la nouvelle création de Belarbi, Mur-Mur sur l’exceptionnelle musique de Dallapiccola, ses Chants de prison. Là l’univers se rapproche plus de celui dessiné par Enki Bilal, murs gris, culottes rouges comme des provocations saignantes, tandis que douze garçons reclus, étouffant, hors d’eux ou brisés, forment une chaîne de désespoirs et de révoltes. Provoquant, bestial ou lyrique, ce cri du fond de l’âme est extrêmement bouleversant et montre la zone d’ombre d’un créateur qui ne se cantonne pas à l’académisme, même revisité.
Pour noyauter son spectacle, Belarbi a également invité un chorégraphe espagnol, au talent époustouflant, Angel Rodriguez : belle carrière de danseur dans son pays, puis une pléiade de créations un peu partout, mais peu en France. On s’est donc réjoui de découvrir cette écriture admirablement dessinée et expressive à la fois. L’œuvre, Thousands of thoughts, sinistre par son propos, conte en filigrane une histoire que l’on connaît peu, celle des Treize roses, jeunes filles fusillées par le régime franquiste, qui moururent avec un admirable et éclatant courage. Un petit groupe de filles, donc, juchées sur des chaises qui leur servent d’armes ou de barreaux, qui évoluent avec une tension et une violence fulgurantes vers leur fin. Poignant, d’autant que la magnifique musique des Fiançailles de Gavin Bryars soutient ce calvaire de façon oppressante. Il est vrai que dans ce cadre de mémoire brisée et revivifiée, tout prend des airs de Stabat mater.
Jacqueline Thuilleux
« Paradis Perdus » (chor. K. Belarbi & A. Rodriguez) – Toulouse, Théâtre du Capitole, 13 avril, prochaines représentations les 16 et 17 avril 2016 / www.theatreducapitole.fr/1/saison-2015-2016/ballet-du-capitole-541/paradis-perdus.html
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