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Jean-Pierre Leguay à Notre-Dame de Paris – Héritage symphonique et orgue contemporain
Depuis la publication de la programmation 2015-2016 des concerts de Notre-Dame de Paris, l'événement que l'on sait est survenu : Vincent Dubois a été nommé à l'illustre tribune au poste de Jean-Pierre Leguay (photo). C'est donc en tant qu'« organiste titulaire émérite » de la cathédrale que ce dernier s'est produit à Notre-Dame ce 12 avril. D'un profil sensiblement différent de ses ex-cotitulaires, a fortiori en tant que compositeur, Jean-Pierre Leguay a toujours proposé au concert des programmes aussi élevés qu'osés en termes « d'accroche » à l'égard du grand public, assortis d'une indéniable exigence d'écoute mais au bénéfice d'un climat poétique et spirituel incontestablement gratifiant. On se souvient notamment de son très beau récital du 8 octobre 2013 (1), commencé avec Titelouze et poursuivi avec Robert Maximilian Helmschrott, refermé avec Bach et Leguay – Chemin faisant (en création).
À l'affiche de ce récital du 12 avril figuraient tout d'abord les Quatre Esquisses op. 58 de Robert Schumann, abordées avec gravité et une souple énergie, d'une force apaisante nourrie d'équilibre et de juste mesure. L'ensemble puisait dans des registrations généreuses bien que d'ampleur modérée, riches en anches dans la première (mais pour une section centrale bondissante sur flûtes et anches de détail), en pleins jeux ancrés dans les profondeurs et sur tempo pondéré dans la deuxième, puis de vastes plans sonores d'anches et/ou de fonds dans les deux dernières. Le « piano symphonique » de Schumann sous-tendait, comme il se doit, ce cycle rythmiquement si complexe tout en se glissant à merveille dans la palette romantique ou pré-symphonique du Cavaillé-Coll.
Peu prisé des organistes d'aujourd'hui, et c'est bien dommage, Charles Tournemire (2) fit ensuite une sensible apparition à travers son Office de l'Assomption (daté du 4 février 1928), n°35 de L'Orgue mystique : quatre pièces relativement brèves suivies d'un finale de grande ampleur, comme dans chacun des 51 offices constituant le cycle. Celui-ci est dédié à Joseph Bonnet (les rapports entre les deux musiciens ne furent pas de tout repos), lui-même maître accompli de l'orgue orchestral de concert : interprétation superbement instrumentée de Jean-Pierre Leguay, la magie des timbres, sans emphase ou le moindre excès, contribuant à créer des climats subjuguants de beauté, tout en restituant la fameuse liberté rhapsodique qui caractérisait les improvisations de Tournemire à Sainte-Clotilde. Concision à l'état pur de l'Entrée, mouvant impressionnisme enserrant une limpide monodie de l'Offertoire, sobre joie céleste de l'Élévation, très étonnant lyrisme « médiéval » de la Communion, jusqu'à l'apothéose de la Paraphrase-carillon sur deux hymnes mariales (Ave maris stella, Salve Regina), bien que beaucoup moins cheval de bataille sous les doigts aériens et inspirés de Leguay, d'un style immaculé, qu'allégorie nourrie d'une allégresse intérieure intensément communicable – comme aurait dit Messiaen, ici préfiguré par de libres et rêveurs chants d'oiseau.
En manière de pont musical, Jean-Pierre Leguay offrit une œuvre tardive de Liszt : Introitus (1884), publiée à titre posthume en 1890 avec Les Morts (Trauerode), page aux harmonies étranges dans un climat général dépouillé, en forme de grande progression sonore au cours de laquelle l'interprète fit entendre le chœur de Clarinettes du Cavaillé-Coll, majestueuse introduction à l'œuvre couronnant ce récital : la Sonate IV (2014-2016) de Jean-Pierre Leguay lui-même, en création mondiale, dédiée à l'organiste suisse Tobias Willi (Zurich).
En trois mouvements et contrastée à l'extrême, l'œuvre, comme souvent chez Leguay, surprend par un certain décalage entre la présentation par l'auteur – «…peu de tissages polyphoniques serrés, peu d'enveloppantes textures ; davantage que la tendreté soyeuse : une écriture aérée, transparente, une limpide crudité des timbres qui laissent passer le clair, une certaine économie de registrations. L'œuvre avance d'un pas léger, l'oreille au vent, l'humeur souriante. » – et la perception par l'auditeur, sans doute avant tout sensible à une tension et une concentration du propos et de sa mise en forme où « l'oreille au vent, l'humeur souriante » ne sont peut-être pas ce que l'on ressent le plus intensément.
À l'entour « organise une giration de huit registrations manuelles autour d'un do dièse fixe assez aigu à la pédale… » : fascinant jeu de cache-cache de sonorités et de structures (qui de manière éphémère l'emportent tour à tour les unes sur les autres) tenant en haleine par un morcellement contrasté en réalité d'une superbe continuité. Chant d'aurore est un immense récit flûté aux harmonies ondoyantes et dont la poésie lointaine fait basculer dans un univers parallèle, atemporel. Récif referme la Sonate sur un ombrageux retour à un discours déchiré, disjoint, dislocation de nouveau dans la continuité bien que formant bloc en regard du mouvement d'introduction, saisissante forme contemporaine du « finale ».
Un programme assurément exigeant, mais nullement austère, qui valut au nouvel organiste émérite de Notre-Dame une formidable ovation, elle-même gratifiée d'une seconde audition de Récif – réentendre, comme il le faudrait toujours pour une œuvre en création : ou comment la forme, une fois « l'appréhension » de la découverte passée, soudainement s'impose en sa pleine lumière –, d'une concision encore plus affirmée dans son impact et sa diversité.
Michel Roubinet
Paris, cathédrale Notre-Dame, 12 avril 2016
(1) www.concertclassic.com/article/saison-du-jubile-de-notre-dame-de-paris-de-vierne-leguay-compte-rendu
(2) Trois questions à Marie-Louise Langlais, musicologue – Les Mémoires de Charles Tournemire enfin accessibles
www.concertclassic.com/article/3-questions-marie-louise-langlais-musicologue-les-memoires-de-charles-tournemire-enfin
Sites Internet :
Jean-Pierre Leguay
www.jeanpierreleguay.com
Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris – Récital Jean-Pierre Leguay du 12 avril
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/#!mardi-12-avril-2016--20h30/cxz1
Photo © DR
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