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Delusion of the Fury de Harry Partch en création française à la Villette - Beaucoup de bruit pour un tout - Compte-rendu
Spectacle phare du festival Manifeste 2016, Delusion of the Fury fait se presser le public en foule dans la salle Charlie Parker de la Grande Halle de la Villette. Car il s’agit d’une curiosité de premier ordre : le « drame dansé » de Harry Partch donné en première française, dans une mise en scène de Heiner Goebbels, le bouillant et imaginatif chef de file de la musique contemporaine allemande. Le spectacle avait été créé en 2013 avec un certain retentissement à la Ruhrtriennale, dont c’est la reprise.
Harry Partch (1901-1974) est un compositeur californien assez peu connu sous nos latitudes. Son esthétique, à en croire Goebbels, « ouvre un espace entre la musique dite classique et la musique populaire ». Il a aussi cette particularité d’être le facteur de ses propres instruments, qu’il invente et fabrique au gré des besoins de chacune de ses œuvres. Rien d’étonnant dès lors que Goebbels, lui-même compositeur sans œillères ni exclusives, se soit attaché aux pas de ce musicien marginal.
© Wonge Bergmann für Ruhrtriennale
De fait, au moment de prendre place dans la salle, le vaste plateau réparti d’une trentaine d’instruments insolites, tous plus étranges les uns que les autres, constitue déjà en lui-même un spectacle inaccoutumé. Bigre ! Quelle sonorité tout aussi étrange va-t-il en sortir ?... On doit cependant vite déchanter. Cela commence par une espèce de son lancinant, à la manière d’un raga indien. Pour ensuite céder la place à de seuls bruits de percussion, dans une rythmique assez facile, répétitive et le plus souvent souvent binaire, entrecoupée de psalmodies lancées par le chœur des instrumentistes lui-même. Puis un retour final au raga initial… Cette lutherie fantasmagorique (greffée de gongs, calebasses, enjoliveurs de roue et autres bols de pyrex) sert alors essentiellement pour être frappée. Autant cogner sur des casseroles… Much ado about nothing, pour paraphraser Shakespeare ?
Mais pas exactement. Car s’en dégage une sorte de temps suspendu, d’envoûtement, à la manière des musiques extra-européennes. Tout à fait dans l’esprit du sujet, qui fait se succéder une légende japonaise et un conte africain, dans un temps et des lieux indéterminés. C’est aussi le reflet d’une certaine époque, en 1966 quand l’œuvre fut créée, avec son engouement hippie pour les musiques planantes et de rituel, aussi bien du côté du rock que des compositions plus savantes (chez Stockhausen, par exemple).
Sous la direction d’Arnold Marinissen, les membres de l’ensemble Musikfabrik de Cologne se dépensent sans compter, appelés qu’ils sont également à participer au mouvement scénique et à prêter leurs voix (discrètement sonorisées). La mise en scène, aidée de la chorégraphie de Florian Bilbao, joue de ce ping-pong parmi le fabuleux décor des infernales machines instrumentales, avec les musiciens-acteurs grimés façon débardeurs, bottés, casqués de chantier et de bonnets (ou couvercle de lessiveuse, ou plat à barbe manière Don Quichotte), entre effets de fumées, d’eaux ruisselantes, de flammes, de matelas gonflables, et d’éclairages verts et roses. Pour un tout auquel on peut se laisser prendre. Soulignons le travail, discret mais remarquable et – ô combien ! – essentiel, de Thomas Meixner, en charge de reconstituer les vingt-sept instruments sortis de l’imagination de Partch.
Pierre-René Serna
Harry Partch : Delusion of the Fury (création française) – Paris, Grande Halle de la Villette (Salle Charlie Parker), 18 juin 2016
Photo © Wonge Bergmann für Ruhrtriennale
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