L’ambitieuse collection “Les Musiciens et La Grande Guerre” (fruit d’une collaboration entre les Editions Hortus et WW1 Music) apporte une contribution de taille à la redécouverte de tout un patrimoine, et donne à comprendre et à ressentir l’impact du premier conflit mondial sur la création musicale. Depuis le début de la commémoration, dix-huit volumes sont déjà parus ; pas moins de trente seront disponibles en 2018.

Le nom de l’Ensemble Calliopée ne pouvait faire défaut à la série, Karine Lethiec et ses musiciens étant particulièrement concernés par le sujet car en résidence au musée de la Grande Guerre de Meaux. Pour le 18^ème volume (1) de la collection ils signent un passionnant programme, intitulé « Ombres et Lumières », inscrit dans la tendance résolument découvreuse qui distingue la formation depuis ses débuts -  marqués, d’aucuns s’en souviennent, par une résidence au Centre culturel tchèque à Paris.  

Rudi Stephan : Musique pour sept instruments à cordes (ext.)

Côté ombres, la Musique pour sept instruments à cordes de Rudi Stephan d’abord, œuvre d’un jeune artiste allemand que la guerre faucha dès 1915, à 28 ans. Ce diptyque (daté de 1911) mêle opulence sonore, tension, emportement et mystère dans une atmosphère générale sombre. Les membres de Calliopée la restituent avec une plénitude des timbres et une souplesse de la phrase qui soulignent la force d’envoûtement de la pièce – autant que la perte cruelle que constitua la mort prématurée de Stephan ...

Vierne : Quintette op. 42, finale (ext.)

Ombres encore avec le somptueux Quintette pour piano et cordes d’un Louis Vierne bouleversé par la mort de son fils de 17 ans, engagé volontaire, en novembre 1917. Terminé l’année suivante, l’Opus 42 inspira à son concepteur des phrases on ne peut plus éclairantes : « J’édifie en ex-voto un quintette de vastes proportions dans lequel circulera largement le souffle de ma tendresse et la tragique destinée de mon enfant. [...] Je ferai quelque chose de puissant, de grandiose et de fort, qui remuera au fond du cœur des pères les fibres les plus profondes de l’amour d’un fils mort. [...] Moi, le dernier de mon nom, je l’enterrerai dans un rugissement de tonnerre et non dans un bêlement plaintif de mouton résigné et béat. » Tout est dit, et les membres de Calliopée, à commencer par le remarquable Frédéric Lagarde au clavier, d’entraîner l’auditeur dans une interprétation aussi équilibrée, entre tendresse et tragique, qu’engagée. La noblesse du sentiment, l’urgence du propos (admirable conduite de la progression dramatique du finale !) vous nouent la gorge et... justifient plus encore la présence - réconfortante - en fin de programme du Poème pour violon, alto et piano (1920) de Lucien Durosoir (1878-1955) (2), auteur que Calliopée défend avec passion depuis des années (3).

Durosoir : Poème pour violon (ext.)

« Mon violon m’a sauvé la vie », disait le violoniste-compositeur ( après la guerre, il abandonna totalement sa carrière de concertiste au profit de la composition.) La musique, salvatrice et réparatrice, dont les vertus sont traduites par le lyrisme intense et les couleurs ambrées d’une pièce superbe. Elle ne pouvait trouver meilleurs avocats que les membres de Calliopée, Maud Lovett, Karine Lethiec et Frédéric Lagarde en l’occurrence, pour sa première mondiale au disque.

Quant à la soif de découverte de l’Ensemble Calliopée, elle s’exprimera à nouveau dans les jours qui viennent, à l’occasion d’un hommage à Betsy Jolas inscrit dans les 15^ème Rencontres musicales de Saint-Césaire-sur-Siagne, rendez-vous marqué par la première française de Frauenliebe (2010) et la création mondiale de Well Met Suite (2016) de la doyenne des compositeurs français.

Alain Cochard

(1) « Ombres et Lumières », Les Musiciens et la Grande Guerre, Vol. XVIII - œuvres de Stephan, Vierne et Durosoir / Ensemble Calliopée (Maud Lovett, violon ; Christophe Giovaninetti, violon, Laurène Durantel, contrebasse ; Frédéric Lagarde, piano ; Sandrine Chatron, harpe) – 1 CD Hortus 718 (dist. Harmonia Mundi)

(2) Pour en savoir plus sur Lucien Durosoir, on se reportera avec profit à l’ouvrage « Lucien Durosoir, Un compositeur moderne né romantique », Actes du colloque – Palazzetto Bru Zane – Venise, 19-20/02/2017 (Editions Fractions, Albi)

(3) Plusieurs enregistrements sont disponibles chez Alpha
 
15^ème Rencontres musicales de Saint-Cézaire
Du 9 au 15 juillet 2016
Saint-Cézaire-sur-Siagne (Alpes Maritimes)
ensemblecalliopee.com/les-rencontres-musicales-de-saint-cezaire

le disque de la semaine 6789