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Eliogabalo de Cavalli à l’Opéra de Paris – Une envoûtante sobriété – Compte-rendu
Enthousiaste accueil du public pour la première d’Eliogabalo (1667) de Francesco Cavalli (1602-1676). Le pari de Stéphane Lissner n’était pourtant pas sans risque car le patron de la Grande Boutique a confié la production d’ouverture de sa saison 2016-2017 à Thomas Jolly, un artiste bien connu dans le monde du théâtre mais qui signe là sa toute première mise en scène lyrique, avec un ouvrage à peu près inconnu donné en création française (1). Un pari de la jeunesse et d’un regard différent sur l’opéra dont on ne peut que se féliciter en découvrant le spectacle que Garnier accueille jusqu’à la mi-octobre.
Franco Fagioli (Eliogabalo) © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Héliogabale ... La figure du sulfureux empereur peut fournir prétexte pas mal de facilités. La force première de la proposition de Thomas Jolly est d’évacuer toute un fatras antique, tout un complaisant décorum de la décadence au profit d’une grande sobriété. Quelques éphèbes - soigneusement choisis -, une bisexualité du rôle-titre clairement affichée, certes, mais les préoccupations premières du metteur en scène se situent ailleurs. Excepté pour le banquet au II, le noir domine tout au long des trois actes, des rayons lumineux découpant et structurant un espace scénique où des éléments mobiles sont manipulés à vue. Quant au soleil, il ne brille qu’à la toute fin du III, après la mise à mort de l’empereur par le peuple romain ; soleil couchant qui embrase en fond de scène un immense médaillon inspiré du buste d’Héliogabale conservé au musée du Capitole à Rome. Le temps de la légende commence ...
L’option peut surprendre ; Jolly a préféré se souvenir de la couleur du bétyle vénéré par l’empereur enfant pour mieux faire rayonner les personnages. Ce relatif statisme scénographique pourrait constituer un handicap, s’il ne se trouvait contrebalancé d’abord par la beauté de la partition - comme du livret, anonyme mais si poétique - et par la fabuleuse direction de Leonardo García Alarcón (à la tête de sa Cappella Mediterranea), pleine de couleurs et de théâtre. Contrebalancé aussi par l’écoute - car il sait écouter ... - que Jolly prête continûment à la musique et à son mouvement intérieur. De cette perception aiguë résulte une parfaite caractérisation des rôles. Les costumes de Gareth Pugh vont également dans ce sens, mais avec des bonheurs... divers : ceux de Lenia sont une réussite, comme ceux des tous les personnages féminins, mais on reste un plus réservé s’agissant du rôle-titre, quant à la tenue de Giuliano, armure de carton-pâte et jupette..., passons.
Cela constitue un point de détail au regard de tout ce que le metteur en scène tire du matériau dont il dispose. A ce propos, ceux qui auront comme nous vu la première en ayant préalablement découvert Eliogabalo lors de l’avant-première jeune public du 14 septembre, auront pu mesurer l’étonnante évolution du spectacle en l’espace de seulement quarante-huit heures. On imagine combien les choses s’épanouiront encore au fil des représentations ...
Emiliano Gonzalez Toro (Lenia) & Matthew Newlin (Zotico) © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Distribution de rêve : en Eliogabalo, Fagioli fascine par sa compréhension du rôle et l’aplomb avec lequel il se confronte à une écriture vocale aussi capricieuse et excessive que son personnage. Tant pis pour l’ordre protocolaire, on ne peut s’empêcher de saluer dès maintenant Emiliano Gonzalez Toro, extraordinaire dans le rôle travesti de Lenia. La veille nourrice manipulatrice est censée être édentée, mais le ténor épate par son mordant et la richesse de sa composition, dans le registre comploteur comme celui du comique – aspect essentiel de l’ouvrage. D’une voix bien timbrée, Paul Groves campe un Alessandro plein d’autorité et d’humanité. Merveille de noblesse et de ligne, Valer Sabadus est sans doute un brin trop tendre en Giuliano mais, face à tant de musicalité et d’art, il serait franchement malvenu de faire la fine bouche – gardons cela pour son fichu accoutrement.
Bonheur intense aussi du côté des dames avec la Gemmira ardente de Nadine Sierra, l’Eritea d’Elin Rombo, bouleversante amante blessée (on n’est pas près d’oublier son « Qual per me sorte spietata » en conclusion du 1), et l’Atilia lumineuse de simplicité et de fraîcheur de Mariana Flores, avec de merveilleuses notes filées.
On n’oublie pas chez les messieurs, le Zotico parfait de Matthew Newlin – quelle paire de maniganceurs forme-t-il avec l’impayable Lenia ! -, ni Scott Conner aussi convaincant, scéniquement et vocalement, en Nerbulone qu’en Tiferne. Chœur de Chambre de Namur (préparé par Thibaut Lenaerts) fidèle à la réputation d’un des meilleurs ensembles vocaux européens.
Enfin, on ne peut que saluer une fois encore le travail de Leonardo García Alarcón, cavallien sans rival, magicien des sons et acteur essentiel de l’envoûtante sobriété de cet Eliogabalo.
Alain Cochard
(1)La première mondiale eut lieu à Crema en 1999, puis l’ouvrage fit l’objet d’une nouvelle production en 2004 à La Monnaie, dirigée par René Jacobs
Cavalli : Eliogabalo (création française) - Paris, Palais Garnier, 16 septembre, prochaines représentations les 19, 21, 25, 27, 29 septembre, 2, 5, 7, 11, 13, 15 octobre 2016. / www.concertclassic.com/concert/eliogabalo
Photo Franco Fagioli (Eliogabalo) © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
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