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La Tempête de Mauricio Wainrot par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux - Grandes et belles vagues - Compte rendu
Que serait le ballet sans Shakespeare ? Bien plus que pour l’Opéra, pour lequel Verdi, Gounod et plusieurs autres lui empruntèrent des sujets, la Danse a inlassablement trouvé dans ses drames, moins dans ses comédies, matière à de fortes et riches mises en espace, surtout au XXe siècle. Si l’œuvre de John Neumeier en offre de multiples exemples, si José Limon, Maurice Béjart, John Cranko, Kenneth MacMillan et Youri Grigorovitch, puis Thierry Malandain et Angelin Preljocaj ont tour à tour puisé dans ce corpus pour y trouver matière à plusieurs chefs-d’œuvre, avec récemment un superbe Mégère apprivoisée créée par Jean Christophe Maillot pour le Bolchoï (1), on découvre encore sur nos contemporains l’empreinte du géant dont on célèbre le 400e anniversaire de la mort.
Mauricio Wainrot, dont les Français du Sud-Ouest ont pu apprécier le style et la patte bien particulière grâce à Kader Belarbi à Toulouse, et Charles Jude à Bordeaux, alors que l’Opéra de Paris l’a toujours ignoré royalement, lui préférant un Balanchine statufié, voire momifié et de nombreux autres chorégraphes contemporains sans consistance, a œuvré longuement à Buenos Aires, où ce juif polonais prit les rênes du Ballet contemporain au cœur d’une riche carrière de danseur, de chorégraphe et de directeur de troupes. Aujourd’hui, septuagénaire, il règne sur la Culture au Ministère des Affaires étrangères argentin, mais continue, avec un enthousiasme juvénile, à voir son œuvre courir le monde, en s’émerveillant du sang nouveau que des compagnies étrangères lui infusent. « Superbe, bien mieux qu’avant », a-t-il clamé en voyant la façon dont les danseurs de Bordeaux, troupe en plein essor, il est vrai, revisitaient sa chorégraphie de la Tempête, dont Kader Belarbi nous avait offert la primeur française en 2012 au Capitole, six ans après la création du ballet à Buenos Aires.
© Julien Paulus
Bonheur donc que de voir comment les tours de passe-passe, de magie, les jeux de masques, les troubles identitaires nichés par Shakespeare dans sa pièce, dont on dit qu’elle fut la dernière, se fondent dans cette histoire compliquée, difficile à mettre en scène et en pas, tant elle ouvre de perspectives intellectuelles, voire philosophiques, finissant sur une sorte de rédemption !
Wainrot, qui dit avoir un rapport organique avec cette pièce qui l’a poursuivi toute sa vie, et débouche sur le pardon, induisant un équilibre gagné sur les combats de l’âme et du corps, a heureusement su garder le style vivace et brillant qui convient au ton de Shakespeare et rappelle le temps élisabéthain tout en ouvrant sur des perspectives sans âge.
Sa danse est souple, caressante, avec des gestes larges qui rappellent José Limon, cassés comme ceux du Faune de Nijinski, expressive comme un Béjart aurait pu la tracer, puissante dans les oppositions de caractères, poétique dans l’évocation d’un monde d’esprits et de magie. Bref le tourbillon shakespearien comme on l’aime.
Avec des personnages qui se détachent magnifiquement, à commencer par le héros, le beau Prospero, incarné royalement (ducalement plutôt) par Oleg Rogachev, danseur à la vaste stature et aux gestes calligraphiés, qui structurent admirablement l’espace. En regard de ce sombre seigneur qui agite âmes et nature à son gré mais vit surtout une tempête personnelle, une exquise Miranda, la fine Oksana Kucheruk, et une adorable Ariel, Sara Renda, dont la nature ambigüe est précisée par trois incarnations masculines qui l’entourent. L’esprit n’a pas de sexe, comme les anges…Sans parler de l’affreux Caliban , formidablement campé par un danseur de caractère impressionnant, Marc-Emmanuel Zanoli, à la fois cassé et entortillé, qui offre avec Miranda un duo évoquant la Belle et la Bête, autre conte moral.
Le ballet, qui tient dans un décor moderne, comme l’intérieur d’un bateau et ses vastes hublots, ce qui permet de voir les flots déchaînés, pétille et trouble à la fois, avec des silhouettes tourbillonnantes joliment costumées par Carlos Gallardo. Un seul point faible, le choix d’un collage de vingt-quatre pièces de Phil Glass : musique indéniablement jolie, charmeuse et facile, mais qui a le défaut de ses qualités. Basée comme l’on sait, sur le mode répétitif, elle ne permet pas à l’action de rebondir et génère un léger assoupissement, heureux d’ailleurs, mais qui nuit à la finesse avec laquelle Wainrot fait rebondir l’action et les passions. Tout s’enchaîne au lieu de se déchaîner…
Jacqueline Thuilleux
(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/la-megere-apprivoisee-en-creation-au-bolchoi-triomphe-moscovite-pour-jean-christophe-maillot
Bordeaux, Grand Théâtre, le 4 novembre 2016 ; prochaines représentations les 8, 9, 10, 12, 13, 14 novembre 2016. www.opera-bordeaux.com
Photo © Julien Paulus
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