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Owen Wingrave par les chanteurs de l’Académie de l’Opéra de Paris – Ode à la jeunesse – Compte-rendu
Baptême du feu réussi pour les jeunes chanteurs de l'Académie de l'Opéra national de Paris, promotion 2016. Pour eux, comme pour les divers participants de l'Académie (instrumentistes, costumiers, maquilleuses), l'enjeu était de taille : monter Owen Wingrave (1), l'un des chefs-d'œuvre le plus accompli et le plus méconnu de Benjamin Britten, composé en 1971 pour la télévision anglaise. Comme pour Le Tour d'écrou, le livret s'inspire d'une nouvelle de Henry James. Et comme dans Le Tour d'écrou, il s'agit d'une histoire de fantômes, qui hantent le froid manoir des Wingrave, vieille dynastie de militaires dont le jeune Owen est le dernier rejeton. Séisme familial lorsque celui-ci déclare renoncer à sa carrière militaire toute tracée, et abjurer les valeurs honnies de la guerre. Son grand-père général le déshérite, sa fiancée le met au défi de dormir dans une pièce du manoir chargée de souvenirs maudits. Owen y est retrouvé mort au petit matin.
Aidé de sa librettiste habituelle, Myfanwy Pipper, Britten valorise moins l'aspect surnaturel — histoire très (trop ?) proche de celle du Tour d'écrou— que l'opposition du jeune héros à toute carrière militaire. Son refus de la guerre touche de près le compositeur britannique, pacifiste et objecteur de conscience pendant la seconde guerre mondiale. L'auteur du War Requiem plaide à nouveau la cause de la paix, alors que la sale guerre du Vietnam fait rage, et que son compatriote, le philosophe Bertrand Russell, secondé par Jean-Paul Sartre, lance un tribunal international contre les crimes de guerre des Etats-Unis en Indonésie.
Quatre rôles masculins, quatre féminins, sollicitant toutes les tessitures : Owen Wingrave est un bon choix, pédagogique comme musical. Autant qu'au jeu des jeunes chanteurs de l'Académie, déjà rompus à l'épreuve de la scène, c'est à leurs capacités vocales qu'on se voulait attentif. L'ensemble est de très haute tenue : voix solides et stables, aussi aisément projetées que clairement intelligibles. En revanche, aucune d'entre elles, ou presque, ne semble dotée de ce charme singulier, de cette couleur très personnelle qui se distingue d'emblée, vous trouble ou vous séduit. A l'inverse, par exemple, des talents recrutés par William Christie pour son Jardin des voix, qui révèle toujours des sensibilités artistiques immédiatement repérables et touchantes.
© Studio J'adore ce que vous faites
On s'en voudrait toutefois de ne pas rendre hommage à deux exceptions. Elisabeth Moussous, d'abord : cette soprano originaire du Cameroun possède un timbre généreux, d'une luminosité et d'un lyrisme rayonnants, qui conférait à son personnage (l'autoritaire et rébarbative Miss Wingrave) une humanité bienvenue. Autre révélation : Jean-François Marras, ténor d'origine corse, dont la voix enveloppante, le grain rond et solaire, annoncent un interprète idéal des rôles mozartiens ou verdiens. Incarnant l'apprenti-soldat Lechmere, ami et confident d'Owen, sa joviale prestance contrastait idéalement avec la présence forte et tourmentée, dans le rôle-titre, du baryton polonais Piotr Kumon — timbre mordant et âpre, légitime triomphateur de la soirée. Lui aussi, les occasions de le retrouver ne manqueront pas ...
Si la réussite de cette production est avant tout collective, on ne peut passer sous silence le travail, à la fois inventif et inspiré, des deux maîtres d'œuvre : le metteur en scène Tom Creed, et le chef d'orchestre Stephen Higgens, à la tête de ses treize instrumentistes. Le mérite leur revient d'avoir su s'accommoder de l'espace inapproprié de l'amphithéâtre Bastille, ouvert aux quatre vents et sans fosse, d'une acoustique ingrate. Cet Owen Wingrave célèbre mieux qu'un hymne au pacifisme : une ode à la jeunesse, à sa flamme comme à sa force de conviction.
Gilles Macassar
(1) Il s'agit d'une coproduction avec l'Irish Youth Opera
Britten : Owen Wingrave - Amphithéâtre Bastille, le 19 novembre ; prochaines représentations les 24, 26 et 28 novembre 2016 / www.operadeparis.fr/saison-16-17/opera/owen-wingrave
Photo © Studio j’adore ce que vous faites
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