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Bartók et Bruckner dans la salle Reine Elisabeth à Anvers - Un nouvel élan pour la Philharmonie Royale de Flandre - Compte-rendu
Ils en rêvaient, ils l’ont enfin ! Au terme d’une errance de plus d’un siècle pendant laquelle les musiciens flamands de cette formation créée à la fin du XIXe siècle se sont posés, valise dans une main, instrument dans l’autre, de place en place dans leur propre ville, avant d’avoir enfin, aujourd’hui, le nid dont toute formation orchestrale de quelque envergure a besoin. D’emblée, l’histoire est inhabituelle, car l’orchestre, créé par la Société Royale de Zoologie d’Anvers – le zoo est alors emblématique à cette époque coloniale où l’exotisme prolonge la prise de pouvoir sur le monde -– n’existe que pour distraire les nobles invités et membres de l’association. Bref, un carnaval d’animaux de luxe. Grieg et Franck y passeront.
Puis la guerre, les guerres, brisent cette belle harmonie et l’orchestre ne va plus trouver où s’installer durablement et surtout répéter, navigant de café en salle de sport et de cinéma. La situation musicale, elle, tient bon avec des chefs tels que Jaap van Zweden , mais se languit d’un asile fixe et correct, à elle spécifiquement destiné. L’élan décisif, enfin, est donné en 2009, grâce à la communauté flamande qui aide puissamment la ville. Cinq ans plus tard, sur le flanc du Zoo, dans son emplacement historique, voit le jour cette nouvelle salle Reine Elisabeth, respectant la façade et les décorations anciennes du lieu, mais conçue, pour ce qui est des locaux de répétition et de la salle proprement dite, avec les plus fines améliorations de la modernité.
La salle Reine Elisabeth © Jesse Willems / dePhilharmonie
La voilà, donc, cette belle flamande large et claire, qui sent encore le bois blond dont elle est revêtue, ouvrant ses portes à un peu plus de 1850 personnes, suivant la configuration des concerts. Forme traditionnelle en boîte à chaussures, sièges couleur potiron, espace accueillant, vue excellente même en haut du 2e balcon, et surtout acoustique fine et souple où tout se perçoit dans une transparence sans sécheresse.
Et ce grâce à l’acousticien Larry Kierkegaard, à Chicago, déjà intervenu avec succès au Barbican Concert Hall et au Festival Hall du Southbank Center de Londres. En parfaite harmonie avec les architectes Rachel Haugh et Ian Simpson, de Manchester.
« Il est rarissime, affirme le directeur de l’orchestre, Joost Maegerman, qu’une telle harmonie ait régné entre les différents acteurs de la réalisation. D’ordinaire l’acoustique et le côté plastique se livrent la guerre : là ce n’a pas été du tout le cas, et les alvéoles ménagées sur les murs ondulés, ainsi que le plafond en panneaux décalés ne nuisent en rien à l’agrément du lieu, que des prix bas donnent d’autant plus l’envie de fréquenter.
La salle Reine Elisabeth © Jesse Willems / dePhilharmonie
Quant à l’orchestre, de Philharmonie de Flandre en 1983 devenu Philharmonie Royale de Flandre en 2002, il lui pousse des ailes, sous la pulsion prestigieuse de Philippe Herreweghe, chef permanent et figure iconique, outre la direction musicale d’Edo de Waart. Le baroque y a donc une place de choix mais que Herreweghe a l’intelligence d’étayer par d’autres répertoires, joués à sa façon, bien évidemment, ainsi le Requiem de Verdi l’an prochain.
Pour l’heure, la saison(1), ouverte par Edo de Waart avec le violoncelle de Truls Mørk le 25 novembre 2016, continue superbement et s’offre des chefs tels que David Zinman, Christian Lindberg, Juraj Valcuha, des solistes tels que Claron McFadden, Ann Hallenberg et Mikhaïl Petrenko, invite la Philharmonie de New York avec Alan Gilbert, initie des projets originaux où se mêlent théâtre et musique, notamment autour d’Ivan le Terrible de Prokofiev-Eisenstein. Et fourmille d’idées, tandis que se remplit le carnet de tournées.
On a entendu sonner la salle à son meilleur avec la 3e Symphonie de Bruckner, apte à mettre en valeur toutes les sonorités de l’orchestre, sous la battue lyrique du chef allemand Karl-Heinz Steffens (photo), un rien trop paisible dans la Musique pour cordes, percussion et célesta, de Bartók qu’on a coutume de déguster plus al dente. Mais tout se dessine ici, et, ajoute Joost Maegerman, « l’orchestre va enfin pouvoir se construire une identité, par delà le talent de ses 80 musiciens aux 19 nationalités, dont la partie majeure est flamande ». Voici donc un orchestre heureux.
Jacqueline Thuilleux
(1) Programmation complète sur : www.deFilharmonie.be
Anvers, Salle Reine Elisabeth, le 28 janvier 2017.
Photo Karl-Heinz Steffens © Erik Berg 2016
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