La Carmen de Calixto Bieito tourne avec succès dans l'Europe entière depuis bientôt deux décennies et Paris ne pouvait trouver meilleure alternative pour succéder à celle d'Yves Beaunesne, sévèrement sanctionnée par le public et la critique en 2012. Décors minimalistes, touche contemporaine post-franquiste, avec soldats désœuvrés, trafiquants, alcool et filles faciles, sur fond d'Espagne traditionnelle (tauromachie, ombre et lumière), tous les éléments sont là, même dans l'épure, pour traiter le sujet.
 
Goûtant davantage aux mises en scène classiques et ostentatoires, le public de cette soirée de gala a tout de même trouvé fort choquante l'apparition d'un homme nu – scène nullement provocante au contraire, où un soldat se prend à toréé seul, au petit jour, face à un animal imaginaire – pendant l’intermède du 3ème acte, ce qui laisse songeur quand on sait ce dont est capable Bieito... Reste que le spectacle, pour lequel l'équipe s'est déplacée, n'a rien perdu de sa force et de son efficacité dramatique, la vision de Bieito, rude pour chaque personnage, obligé de se battre pour exister, demeurant d'une saisissante actualité.

© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Le couple Carmen/Don José confié à Clémentine Margaine et à Roberto Alagna devait faire des étincelles : le destin en a voulu autrement. La jeune cantatrice française n'est assurément pas empruntée dans ce rôle qu'elle fréquente depuis plusieurs saisons et qu’elle a pu affiner auprès de chefs, de metteurs en scènes et de collègues (dont Alagna d'ailleurs à Berlin) très différents.
Elle se démène physiquement d'abord, pour répondre à la violence qui l'entoure et à l'attraction sexuelle qu'elle exerce, vocalement ensuite pour imposer son interprétation dans une version défendue par d'autres cantatrices et en premier lieu Béatrice Uria-Monzon, à qui il est difficile de ne pas faire référence dans cette version qu'elle marquée à plusieurs reprises (Barcelone 2010 et 2015/dvd Unitel  Liceu). Pour ceux qui aiment les Carmen qui ont du coffre, qui tirent la tessiture vers celles d’Amneris et de Dalila, graves poitrinés et aigus claironnants en prime, Clémentine Margaine est la chanteuse rêvée. Pour ceux qui préfèrent les voix moins développées, les timbres plus rares et les approches plus sophistiquées, il n'est pas certain qu'ils y trouvent leur compte. Un chef plus précis que Bertrand de Billy, appelé il est vrai tardivement sur le projet après la défection de Lionel Bringuier, veillera certainement à corriger les effets de forge de cette voix puissante et à privilégier l'équilibre entre la fosse et le plateau pris plusieurs fois en défaut en ce soir de première.
 
Indisposé, Roberto Alagna a tout de même tenu à sauver la représentation : qu'il en soit remercié. Difficile de juger cependant sa prestation, l'instrument étant d’entrée terne, crispé et privé de la chaleur qui le caractérise. Craquant tous les aigus à partir de la « Fleur », l'auditoire a souffert avec lui – sans lui en tenir rigueur – jusque dans la scène finale jouée avec rage, mais sans l'électricité que la présence de sa partenaire de prédilection, Béatrice Uria-Monzon, encore elle, savait faire jaillir.
 
Aleksandra Kurzak fait un tabac en Micaela, chantée avec goût, sans la moindre minauderie, Vanina Santoni (Frasquita) et Antoinette Dennefeld (Mercédès) s’appropriant sans difficulté leurs personnages de filles légères et vulgaires. Bel Escamillo au français intelligible de l’Italien Roberto Tagliavini, excellent Zuniga de François Lis, Dancaïre (Boris Grappe), Remendado (François Rougier) et Moralès (Jean-Luc Ballestra) épatants, entourés par l’excellent chœur maison, préparé par José Luis Basso.
A noter qu’une captation audiovisuelle par François-René Martin sera retransmise sur France 3 le 16 juillet prochain.
 
François Lesueur

Bizet : Carmen – Paris, Opéra Bastille, 10 mars ; prochaines représentations du 13 au 31 mars, du 2 au 14 avril et du 13 juin au 16 juillet 2017 / www.concertclassic.com/les-prochains-concerts?fulltext_search=Carmen&field_event_date%5Bdate%5D=