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Don Quichotte selon Kader Belarbi par le Ballet du Capitole de Toulouse - Le rêve en étendard
Don Quichotte selon Kader Belarbi par le Ballet du Capitole de Toulouse - Le rêve en étendard
« Être chaste en ses pensées, honnête en ses paroles, vrai dans ses actions… et enfin, combattant de la vérité, même si sa défense devait coûter la vie ». Citant les termes avec lesquels Cervantes cible son Don Quichotte, un certain Joseph Ratzinger (Les principes de la théologie catholique, 1982), évoquait en parlant des folies du héros, « un jeu qui mérite d’être aimé car on perçoit, au-delà, un cœur pur » et plus loin, parlant de cette mélancolie d’un monde perdu, « un éveil à ce qui doit demeurer ».
Passer de ces nobles signatures à la modeste sphère du ballet serait elle une folle gageure ? Certainement pas pour Kader Belarbi,(photo) directeur du Ballet du Capitole, qui tel Don Quichotte lui même, se bat pour garder à l’art du ballet sa noblesse, ses repères, son idéal, tout en lui ajoutant la pointe de bon sens dont ce qui n’était souvent jusqu’ici que brillant divertissement manque un peu trop. Un pari contre les moulins à vent de l’indifférence des décideurs en matière de ballet à ce jour : « Ainsi, déclare-t-il, les musiciens de l’Orchestre de Montpellier avec lesquels nous avons donné Giselle l’an passé, n’avaient pas joué de grand ballet classique depuis dix-huit ans. Tandis qu’au Ballet des Flandres à Anvers, grande compagnie dirigée par Sidi Larbi Cherkaoui, une tentative pour donner Spartacus la saison dernière a eu tant de succès qu’il faudra la reprendre la saison prochaine. L’attente du public envers le ballet est incontestable, mais peu prise en compte ! ».
Se dressant contre un intellectualisme contemporain qui est le plus souvent d’une affligeante médiocrité, Don Quichotte- Belarbi clame donc : « et pourquoi une arabesque ne serait elle pas sociale ou conceptuelle ? Bref, de la théologie et de la philosophie aux entrechats, il n’y a qu’un saut, et l’ancienne étoile de l’Opéra de Paris, qui depuis, a bien pris le pouls d’un autre monde, celui des régions et du marché de la danse, s’est attelé à une nouvelle version d’un ballet mythique, réalisé autour d’un roman mythique, en une vision qui marie l’ancien et le moderne, avec cet art de revivifier sans trahir qui le caractérise, et témoigne à la fois d’une exceptionnelle finesse d’approche et aussi d’intelligence stratégique par rapport au contexte dans lequel il travaille.
Car Don Quichotte au ballet, c’est toute une histoire, et une histoire ratée autant que fameuse. Jamais, ce beau sujet n’a en effet été traité avec le sérieux et la tendresse éclairée autant que facétieuse qu’il mérite. En France, comme pratiquement partout dans le monde, et malgré de nombreux essais au XVIIIe siècle en Europe – dont un de Noverre, tout de même, en 1768 -, on n’en connaît guère que les versions russes : celle de Petipa d’abord, en 1869 à Moscou, considérablement modifiée pour sa recréation de 1871 à Saint-Pétersbourg, (300 costumes d’Elena Rivkina pour cette production) puis celle de Gorski en 1900 à Moscou. D’autres suivirent, et Anna Pavlova présenta une autre chorégraphie du ballet à Londres en 1924, avec sa propre petite compagnie : Londres justement, qui se saisit du filon, et où les nouvelles chorégraphies se pressèrent ensuite, notamment Ninette de Valois avec la jeune Margot Fonteyn en 1950, avant celle de Noureev pour l’Opéra de Paris, en 1981, où toutes les étoiles de l’Opéra firent frétiller leurs gambettes pendant de multiples reprises, Kader Belarbi notamment. Et à ce jour encore puisque le ballet est programmé comme spectacle de fête à l’Opéra Bastille pour la fin de l’année. Entre temps, Lifar, Balanchine, Neumeier avaient fait des essais sur des musiques diverses, dont Richard Strauss, mais ce ne furent pas leurs plus grandes pages de gloire.
La patte russe, donc sur ce Don Quichotte entré dans l’imaginaire des balletomanes par une mauvaise porte, celle de l’exotisme clinquant, de la virtuosité pure, de l’effet, sans aucune profondeur dans le traitement de la poignante figure centrale. Juste de la fruste pantomime. Car pour quoi les danseurs russes sont ils particulièrement doués ? Pour la performance, qu’ils maîtrisent avec une facilité diabolique, et pour les espagnolades, qui vont bien à leur tempérament agité. Pièce maîtresse du Don Quichotte dansé, donc, et acclamé bruyamment dans tous les galas du monde : le pas de deux final du duo d’amoureux, Kitri-Basilio, qui permet de fabuleuses figures de style et dont l’historique couple du Bolchoï, Vladimir Vassiliev et Ekaterina Maximova, fut à jamais l’éblouissante incarnation. Noureev ne fit pas autrement, sinon qu’il compliqua sans la rendre plus parlante une chorégraphie de peu d’intérêt, et conserva un traitement du sujet très superficiel. Certes, il en fut un interprète hors normes, mais on garde aussi la nostalgie d’un Patrick Dupond ébouriffant, peut-être plus à l’aise par son caractère plébéien, que les princiers Hilaire ou Belarbi.
Passer de ces nobles signatures à la modeste sphère du ballet serait elle une folle gageure ? Certainement pas pour Kader Belarbi,(photo) directeur du Ballet du Capitole, qui tel Don Quichotte lui même, se bat pour garder à l’art du ballet sa noblesse, ses repères, son idéal, tout en lui ajoutant la pointe de bon sens dont ce qui n’était souvent jusqu’ici que brillant divertissement manque un peu trop. Un pari contre les moulins à vent de l’indifférence des décideurs en matière de ballet à ce jour : « Ainsi, déclare-t-il, les musiciens de l’Orchestre de Montpellier avec lesquels nous avons donné Giselle l’an passé, n’avaient pas joué de grand ballet classique depuis dix-huit ans. Tandis qu’au Ballet des Flandres à Anvers, grande compagnie dirigée par Sidi Larbi Cherkaoui, une tentative pour donner Spartacus la saison dernière a eu tant de succès qu’il faudra la reprendre la saison prochaine. L’attente du public envers le ballet est incontestable, mais peu prise en compte ! ».
Se dressant contre un intellectualisme contemporain qui est le plus souvent d’une affligeante médiocrité, Don Quichotte- Belarbi clame donc : « et pourquoi une arabesque ne serait elle pas sociale ou conceptuelle ? Bref, de la théologie et de la philosophie aux entrechats, il n’y a qu’un saut, et l’ancienne étoile de l’Opéra de Paris, qui depuis, a bien pris le pouls d’un autre monde, celui des régions et du marché de la danse, s’est attelé à une nouvelle version d’un ballet mythique, réalisé autour d’un roman mythique, en une vision qui marie l’ancien et le moderne, avec cet art de revivifier sans trahir qui le caractérise, et témoigne à la fois d’une exceptionnelle finesse d’approche et aussi d’intelligence stratégique par rapport au contexte dans lequel il travaille.
Car Don Quichotte au ballet, c’est toute une histoire, et une histoire ratée autant que fameuse. Jamais, ce beau sujet n’a en effet été traité avec le sérieux et la tendresse éclairée autant que facétieuse qu’il mérite. En France, comme pratiquement partout dans le monde, et malgré de nombreux essais au XVIIIe siècle en Europe – dont un de Noverre, tout de même, en 1768 -, on n’en connaît guère que les versions russes : celle de Petipa d’abord, en 1869 à Moscou, considérablement modifiée pour sa recréation de 1871 à Saint-Pétersbourg, (300 costumes d’Elena Rivkina pour cette production) puis celle de Gorski en 1900 à Moscou. D’autres suivirent, et Anna Pavlova présenta une autre chorégraphie du ballet à Londres en 1924, avec sa propre petite compagnie : Londres justement, qui se saisit du filon, et où les nouvelles chorégraphies se pressèrent ensuite, notamment Ninette de Valois avec la jeune Margot Fonteyn en 1950, avant celle de Noureev pour l’Opéra de Paris, en 1981, où toutes les étoiles de l’Opéra firent frétiller leurs gambettes pendant de multiples reprises, Kader Belarbi notamment. Et à ce jour encore puisque le ballet est programmé comme spectacle de fête à l’Opéra Bastille pour la fin de l’année. Entre temps, Lifar, Balanchine, Neumeier avaient fait des essais sur des musiques diverses, dont Richard Strauss, mais ce ne furent pas leurs plus grandes pages de gloire.
La patte russe, donc sur ce Don Quichotte entré dans l’imaginaire des balletomanes par une mauvaise porte, celle de l’exotisme clinquant, de la virtuosité pure, de l’effet, sans aucune profondeur dans le traitement de la poignante figure centrale. Juste de la fruste pantomime. Car pour quoi les danseurs russes sont ils particulièrement doués ? Pour la performance, qu’ils maîtrisent avec une facilité diabolique, et pour les espagnolades, qui vont bien à leur tempérament agité. Pièce maîtresse du Don Quichotte dansé, donc, et acclamé bruyamment dans tous les galas du monde : le pas de deux final du duo d’amoureux, Kitri-Basilio, qui permet de fabuleuses figures de style et dont l’historique couple du Bolchoï, Vladimir Vassiliev et Ekaterina Maximova, fut à jamais l’éblouissante incarnation. Noureev ne fit pas autrement, sinon qu’il compliqua sans la rendre plus parlante une chorégraphie de peu d’intérêt, et conserva un traitement du sujet très superficiel. Certes, il en fut un interprète hors normes, mais on garde aussi la nostalgie d’un Patrick Dupond ébouriffant, peut-être plus à l’aise par son caractère plébéien, que les princiers Hilaire ou Belarbi.
Kader Belarbi © David Herrero
Pour Kader Belarbi justement, qui propose aujourd’hui cette nouvelle chorégraphie pour sa belle compagnie, il s’agit de rendre au personnage principal sa crédibilité, dans un créneau difficile, entre fiction et réalité. « Pour moi, dit il, l’axe principal est le duo Don Quichotte-Sancho Pança, et non les amours de Kitri et Basilio, qui revivront, bien sûr, car elles donnent au ballet sa fraîcheur pétillante, contrepartie nécessaire de la mélancolie du héros et de la bouffonnerie de son acolyte. Mais je supprime l’inutile Gamache, qui est en fait un autre aspect de Don Quichotte, je supprime aussi l’insupportable Cupidon, et transpose l’acte romantique des dryades dans des marais avec des naïades. Enfin, je donne une existence scénique à Dulcinée, qui apparaîtra à de multiples reprises, tandis que le chevalier sera incarné par un danseur qui dansera vraiment ». Et non quelque pale fantôme, errant sur son cheval à pattes humaines, dont Daumier, Gustave Doré, voire Picasso donnèrent de plus intéressantes silhouettes. Sans parler de deux films étonnants, celui du soviétique Grigori Kozintsev, avec Nicolas Tcherkassov, que Kader Belarbi programme d’ailleurs à la cinémathèque toulousaine et l’inachevé Don Quichotte d’Orson Welles, vrai trésor maudit.
Mais comme tout s’inscrit dans une grille, et implique de s’adapter, Belarbi, qui dit très haut son attachement au répertoire de la compagnie toulousaine, s’est saisi d’une production existante, due à Nanette Glushak, sa devancière, en gardant les décors d’Emilio Carcano et les costumes de Joop Stokvis, qu’il a dû adapter à sa propre chorégraphie, laquelle inclut des pointes. Et s’en est tenu à la musique souvent pompier de Léon Minkus (1826-1917) – « riche en mélodies faciles et en rythmes communs », disait-on déjà à l’époque de la création russe – tout en l’aménageant, car l’on sait combien ces pages brillantes, et moins nulles qu’il n’y paraît, assure Belarbi, ont donné lieu à des transcriptions diverses, que les Russes gardent jalousement. Il a donc demandé à Koen Kessels, directeur musical du Royal Ballet, et qui dirigera le spectacle, de refaire quelque peu l’orchestration, tout en rajoutant pour l’acte du rêve et des naïades une page de La Source, ballet auquel Minkus participa avec Delibes.
Des contraintes certes, mais qui mettent à forte contribution son ingéniosité, et l’obligent à une sorte d’ascèse créatrice. Certes, dit il, « si j’avais été totalement libre, je n’aurais peut être pas gardé Minkus, et j’aurais fait de Cervantes la figure centrale dont naissait Don Quichotte. En l’occurrence, je ne me plains pas, car j’ai ainsi le sentiment de réactualiser un patrimoine auquel je suis viscéralement attaché, car je porte en moi cinquante années de création, de Lifar à Pina Bausch que je me dois de faire vivre pour les danseurs et le public. Bref, avec ce slalom pour une ligne droite, Don Quichotte capitolin sera bien présent au milieu des chaussons, en défenseur d’un art malmené, et d’un rêve doux-amer.
Jacqueline Thuilleux
(Entretien avec Kader Belarbi réalisé le 10 mars 2017)
Pour Kader Belarbi justement, qui propose aujourd’hui cette nouvelle chorégraphie pour sa belle compagnie, il s’agit de rendre au personnage principal sa crédibilité, dans un créneau difficile, entre fiction et réalité. « Pour moi, dit il, l’axe principal est le duo Don Quichotte-Sancho Pança, et non les amours de Kitri et Basilio, qui revivront, bien sûr, car elles donnent au ballet sa fraîcheur pétillante, contrepartie nécessaire de la mélancolie du héros et de la bouffonnerie de son acolyte. Mais je supprime l’inutile Gamache, qui est en fait un autre aspect de Don Quichotte, je supprime aussi l’insupportable Cupidon, et transpose l’acte romantique des dryades dans des marais avec des naïades. Enfin, je donne une existence scénique à Dulcinée, qui apparaîtra à de multiples reprises, tandis que le chevalier sera incarné par un danseur qui dansera vraiment ». Et non quelque pale fantôme, errant sur son cheval à pattes humaines, dont Daumier, Gustave Doré, voire Picasso donnèrent de plus intéressantes silhouettes. Sans parler de deux films étonnants, celui du soviétique Grigori Kozintsev, avec Nicolas Tcherkassov, que Kader Belarbi programme d’ailleurs à la cinémathèque toulousaine et l’inachevé Don Quichotte d’Orson Welles, vrai trésor maudit.
Mais comme tout s’inscrit dans une grille, et implique de s’adapter, Belarbi, qui dit très haut son attachement au répertoire de la compagnie toulousaine, s’est saisi d’une production existante, due à Nanette Glushak, sa devancière, en gardant les décors d’Emilio Carcano et les costumes de Joop Stokvis, qu’il a dû adapter à sa propre chorégraphie, laquelle inclut des pointes. Et s’en est tenu à la musique souvent pompier de Léon Minkus (1826-1917) – « riche en mélodies faciles et en rythmes communs », disait-on déjà à l’époque de la création russe – tout en l’aménageant, car l’on sait combien ces pages brillantes, et moins nulles qu’il n’y paraît, assure Belarbi, ont donné lieu à des transcriptions diverses, que les Russes gardent jalousement. Il a donc demandé à Koen Kessels, directeur musical du Royal Ballet, et qui dirigera le spectacle, de refaire quelque peu l’orchestration, tout en rajoutant pour l’acte du rêve et des naïades une page de La Source, ballet auquel Minkus participa avec Delibes.
Des contraintes certes, mais qui mettent à forte contribution son ingéniosité, et l’obligent à une sorte d’ascèse créatrice. Certes, dit il, « si j’avais été totalement libre, je n’aurais peut être pas gardé Minkus, et j’aurais fait de Cervantes la figure centrale dont naissait Don Quichotte. En l’occurrence, je ne me plains pas, car j’ai ainsi le sentiment de réactualiser un patrimoine auquel je suis viscéralement attaché, car je porte en moi cinquante années de création, de Lifar à Pina Bausch que je me dois de faire vivre pour les danseurs et le public. Bref, avec ce slalom pour une ligne droite, Don Quichotte capitolin sera bien présent au milieu des chaussons, en défenseur d’un art malmené, et d’un rêve doux-amer.
Jacqueline Thuilleux
(Entretien avec Kader Belarbi réalisé le 10 mars 2017)
Don Quichotte (chor. Kader Belarbi / mus. Léon Minkus) - Toulouse, Théâtre du Capitole, les 20, 21, 22, 23, 25 avril 2017 / www.theatreducapitole.fr/1/saison-2016-2017/ballet-du-capitole-613/don-quichotte.html?lang=fr
Paris, Opéra Bastille, chorégraphie de Noureev, du 13 décembre 2017 au 6 janvier 2018
Don Quichotte, film de Grigori Kozintsev, cinémathèque de Toulouse, le 18 avril 2017 / www.lacinemathequedetoulouse.com
Photo Kader Belarbi © David Herrero
Paris, Opéra Bastille, chorégraphie de Noureev, du 13 décembre 2017 au 6 janvier 2018
Don Quichotte, film de Grigori Kozintsev, cinémathèque de Toulouse, le 18 avril 2017 / www.lacinemathequedetoulouse.com
Photo Kader Belarbi © David Herrero
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