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Ouverture du 21e Festival de Pâques de Deauville – Talents en liberté – Compte-rendu
Une petite infidélité à la salle Elie de Brignac, berceau du Festival de Pâques, pour la soirée inaugurale de la 21e édition : la salle de projection du Centre International de Deauville (lieu cher aux habitués du Festival du film américain) accueille un programme d’un genre un peu particulier. Maxime Pascal (photo à g. ) et Le Balcon ne sont pas adeptes du banal et du passe-partout et une fois de plus la proposition du jeune chef et de son équipe a de quoi séduire, surprendre et bousculer dans leurs habitudes aussi ceux qui n’ont pas encore fait l’expérience de l’univers sonore du Balcon. (1)
Commande du Festival Berlioz de la Côte-Saint-André 2013, la Symphonie fantastique « librement adaptée pour orchestre de chambre » par le compositeur Arthur Lavandier (né en 1987) a déjà beaucoup circulé et a été l’objet du premier enregistrement du Balcon (paru à la rentrée 2016). Elle forme le morceau de résistance d’un concert que Maxime Pascal ouvre sous le signe du chant, avec la complicité de Julie Fuchs (photo à dr.).
Julie Fuchs © Claude Doaré
Rien de plus logique : la soprano était déjà présente en novembre 2008 au CNSM de Paris pour le tout premier concert du Balcon et reste étroitement associée depuis à un ensemble qui a fait de la « projection sonore » – et non de la sonorisation comme d’aucuns l’affirment parfois – sa marque distinctive.
Diverses pages vocales arrangées par Arthur Lavandier pour petit ensemble (violon, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, clarinette, basson, cor, piano, guitare électrique, percussions) forment un prélude nocturne et mélancolique à la Fantastique. Des arrangements, mais aussi une très belle création de Lavandier pour commencer : une secrète Complainte de la sirène (sur des vers du poète breton Charles Roudaut, 1941-1995) que J. Fuchs aborde de prégnante façon, aidée par l’écrin que Maxime Pascal tisse avec la complicité de Florent Derex et Etienne Graindorge à la technique.
On ne résiste pas plus à rêveuse poésie que la chanteuse apporte ensuite à Nuit d’étoiles, mélodie du jeune Debussy. Pureté du timbre, sens des mots, certes, mais quelle confondante simplicité montre-t-elle avant tout, là comme dans le « Credete al mio dolore » de Haendel (Alcina), qui s’accommode au mieux de la translation dans la modernité de l’instrumentarium et des moyens techniques. Parenthèse américaine avec un délicieux « My Favorite things » de Rogers & Hammersmith et J. Fuchs quitte le devant de la scène et se place au cœur de l’ensemble instrumental pour interpréter le Ich bin der Welt abhanden gekommen tiré des Rückert Lieder de Mahler. Un moment d’absolue poésie – qui se rit des ratiocinations des puristes tant il est fidèle à l’essence du poème – suivi en bis de l’air traditionnel irlandais Last rose of summer, que la soprano aborde avec un charme infini, accompagnée par ... le chœur a bocca chiusa formé par les instrumentistes du Balcon et leur chef.
Maxime Pascal, La Balcon et des membre de l'Orchestre harmonie de Lisieux-Pays d'Auge © Claude Doaré
Changement d’atmosphère en seconde partie avec la Fantastique. En public, nous n’avions jusqu’ici entendu que la version donnée en plein air en ouverture du Festival Paris Quartier d’Eté l’an dernier ; l’exécution dans un lieu clôt change la perspective et permet de goûter tout autrement la recréation à laquelle se livre Arthur Lavandier, le foisonnement impertinent – et solidement argumenté – de sa proposition. L’étonnante cadence de violon introductive, sous l’archet pur et expressif de You-Jung Han, entraîne dans un Berlioz totalement réinventé : vrai régal que de voir la gestique souple et chorégraphique du chef emmener ses troupes dans cette psychédélique entreprise.
Voisin, l’Orchestre d’harmonie de Lisieux-Pays d’Auge a fait le déplacement pour prendre part aux deux derniers mouvements. Il s’agit de la plus ancienne harmonie de France (1), mais elle comprend une forte proportion de jeunes musiciens que M. Pascal sait impliquer avec un enthousiasme communicatif dans cette ébouriffante et jouissive aventure.
Le Festival retrouve la salle Elie de Brignac le lendemain pour un portrait-concert de György Ligeti, précédé d’une introduction de Karol Beffa (auteur d’une remarquable monographie du compositeur parue l’an dernier chez Fayard). Concert de musique « contemporaine » ? Surtout pas ! En entendant les talents réunis pour l’occasion, on mesure combien, pour chacun d’entre eux, la musique du Hongrois, disparu en 2006, est évidence et fait déjà partie du répertoire, au même titre que Schubert ou Brahms.
Au piano, Guillaume Vincent et Jonas Vitaud donnent l’exemple d’une pleine et libre appropriation des textes. A quatre mains d’abord dans les précoces – mais riches de prémices – Etude polyphonique ( 1950) et Szonatina (1950). Un peu plus loin, Guillaume Vincent aborde quatre des Etudes ( Automne à Varsovie, Cordes à vide, Der Zauberlehrling, Vertige) avec une palette sonore immense et une imagination poétique infinie. On se prend à rêver d’un enregistrement intégral sous des doigts aussi inspirés ...
Ceux de Jonas Vitaud ne sont pas en reste dans le rare Trio pour cor, violon et piano (1982) auquel ce grand fidèle du Festival de Pâques apporte une assise admirable de couleur, de plénitude sonore et d’énergie rythmique, avec à ses côtés Nicolas Ramez (cor) et David Petrlik (violon). Leur entente complice dévoile les multiples facettes d’une partition étonnante et encore trop méconnue.
Le Quatuor Hermès © Claude Doaré
Tel n’est pas le cas du fameux 1er Quatuor « Métamorphoses nocturnes » (1953-1954), que le Quatuor Hermès, comme beaucoup d’autres formations, a mis à son répertoire, mais qu’il interprète avec l’art d’un des plus fabuleux jeunes quatuors de la nouvelle génération. Une fois de plus, on reste admiratif de sa compréhension intime, organique, de la musique, de l’évidence et du tact des enchaînements, de la science du détail et – chose essentielle – d’un naturel parfait dans l’effusion poétique.
L'Ensemble Ouranos © Claude Doaré
Il n’est pas nécessaire non plus de présenter les six Bagatelles (1953), cheval de bataille des quintettes à vent, avec lesquelles l’Ensemble Ouranos (Mathilde Calderini, Philibert Perrine, Amaury Viduvier, Nicolas Ramez et Rafaël Angster) conclut ce roboratif programme Ligeti. La conjugaison entre le mouvement ondulatoire et la ligne mélodique du n° 3 Allegro grazioso atteste l’exemplaire cohésion des instrumentistes ; le n° 6 Molto vivace se mue en une véritable saynète instrumentale, « capricciosa » à souhait ; partout les couleurs s’expriment dans toute leur plénitude, les rythmes toute leur vigueur : splendide !
La fête commence à Deauville, vous avez jusqu’au 30 avril pour déguster une 21e édition dédordante de promesses.
Alain Cochard
(1) Pour en savoir plus sur Le Balcon : www.concertclassic.com/article/le-balcon-joue-grisey-et-garcia-velasquez-lathenee-une-energie-commune
(2) harmonielisieuxpaysdauge.wordpress.com/histoire-de-lharmonie-a-lisieux/
Deauville, CDI et salle Elie de Brignac, les 15 et 16 avril 2017 / Jusqu’au 30 avril 2017 musiqueadeauville.com/
Photo © Claude Doaré
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