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Une interview de Bernard Foccroulle, directeur du Festival d’Aix-en-Provence – « L’opéra ne réussit que si l’on crée des équipes »
« Dix belles années, une période très intense, pleine de contrastes, confie-t-il. Je suis heureux d’avoir eu la possibilité de collaborer avec des artiste majeurs tels que Pierre Boulez, Patrice Chéreau, Esa Pekka Salonen, William Kentridge, William Christie, mais aussi avec des personnalités telles que Katie Mitchell, Raphaël Pichon, Louis Langrée, Jérémie Rhorer, Simon McBurney qui, chacune dans leur domaine, se situent à un niveau d’excellence extrêmement élevé.
L’opéra ne réussit que si l’on crée des équipes
« J’ai le sentiment aussi d’avoir souvent, pas toujours mais souvent, réussi à créer des équipes. La chose me tient beaucoup à cœur car je pense que l’opéra ne réussit que si l’on crée des équipes. Il faut que le pôle musical et le pôle théâtral s’articulent l’un à l’autre – ce qui n’exclut pas des frottements – et que le directeur musical, le metteur en scène et leurs équipes respectives puissent véritablement se rencontrer, se nourrir mutuellement, gérer leurs différents – et il est normal qu’il y en ait. Je pense que cette année chacun de ces couples a été bien choisi. Je n’imagine pas inviter un chef sans lui dire avec quel metteur en scène il devra travailler, où l’inverse. La situation est identique s’il s’agit de création, mais de façon encore plus poussée. »
L’évolution du public depuis 2007 ? « On a le public que l’on mérite ; ça prend du temps ! (rires). Il faut pour pouvoir prendre les risques créer un climat de confiance avec le public. Un exemple : en 2010, j’invite Robert Lepage pour mettre en scène le Rossignol. A deux ou trois semaines de la première, nous avions vendu les deux tiers des places. A partir de la générale, ça a été un raz de marée ; non seulement nous avons vendu toutes les places à Aix mais, dans la foulée, l’Opéra de Lyon, qui reprenait le spectacle, a vendu la totalité de ses siennes. Je pense que le succès du Rossignol nous a aidé à faire du Nez – mis en scène par William Kentridge l’année suivante – un succès équivalent, bien qu’il s’agisse d’un ouvrage plus difficile à vendre que le Rossignol. »
L’esprit du Festival peut aussi être aussi représenté par de jeunes artistes
« On sait bien qu’à Aix, les opéras de Mozart ou un grand Verdi attirent le public, note B. Foccroulle. L’important n’est pas là, mais d’arriver à ce que le public vous suive sur des ouvrages baroques inconnus, sur des créations et, vous suive aussi sur des projets où il n’y a pas de star. L’esprit du Festival peut aussi être représenté par de jeunes artistes, comme avec Trauernacht, monté en 2014 par quatre jeunes chanteurs issus de l’Académie du Festival, Raphaël Pichon et Pygmalion. J’étais très heureux de ce projet en 2014 et je ne le suis pas moins de le voir présenté cette année au Bolchoï (1), dans un univers où la musique de Bach est très révérée mais sans doute entendue et comprise différemment de chez nous ou de l’Allemagne protestante. »
Cinq productions lyriques (toutes nouvelles) – Pinocchio, Carmen, The Rake’s Progress, Don Giovanni, Erismena – et un opéra en version de concert (Eugène Onéguine par les troupes du Bolchoï et Tugan Sokhiev, baguette qu’un Amour des trois oranges aixois révéla à la France en 2004 ...) sont au programme du 69e Festival. Des ouvrages de formats différents car, constate B. Foccroulle, une programmation procède « d’une alchimie artistique mais aussi économique. », avec en tête de liste Pinocchio et Carmen, l’ouvrage de Bizet étant confié à Dmitri Tcherniakov et Pablo Heras-Casado.
J’ai une grande confiance dans la capacité de l’opéra d’être un des arts importants du XXIe siècle
« La création de Pinocchio me tient beaucoup à cœur pour un tas de raisons, explique le directeur. Et Philippe Boesmans depuis longtemps, et Joël Pommerat plus récemment, sont des artistes amis que j’estime au plus haut point. Pinocchio me permet de réaliser le rêve d’une commande d’opéra qui soit aussi accessible à un public enfantin ; ce qui ne signifie aucunement que c’est un opéra « pour enfants » - il ne l’est pas plus que la Flûte enchantée ! Pinocchio s’adresse à tous les publics, mais – point important – avec une volonté de lisibilité, de transparence, d’accessibilité jusque dans l’écriture de son livret et de sa musique. J’aurais été coupable de quitter la direction d’une institution culturelle telle que le Festival d’Aix sans avoir apporté cette dimension, qui me tient vraiment à cœur. Le public jeune n’est pas seulement le public « de demain », c’est tout simplement un public formidable. »
La présence de Pinocchio présente aussi une dimension symbolique pour B. Foccroulle ; elle constitue une forme de « geste qui consiste à rappeler que la création à l’opéra, aujourd’hui, est une question vitale. J’ai une grande confiance dans la capacité de l’opéra d’être un des arts importants du XXIe siècle, mais la première condition est qu’il continue à vivre d’ouvrages nouveaux, qui ne soient pas des élucubrations d’artistes en chambre mais montrent une capacité de rénover le genre, tout en sachant s’adresser à des publics d’aujourd’hui. Ce qui n’a pas toujours été le cas des créations lyriques du dernier tiers du XXe siècle avec beaucoup d’œuvres repliées sur elles-mêmes. » On ne saurait lui donner tort à ce propos ...
Tcherniakov–Heras-Casado : dialogue prometteur !
Carmen n’est pas le titre aixois par excellence ; on ne l’a pas entendu au Festival depuis la fin des années 50. Mais cet « opéra sans emphase, qui va droit au but » est cher au cœur de B. Foccroulle. « Aix, insiste-t-il, est un lieu où la création a de l’importance, non seulement à travers les nouvelles partitions, mais aussi par la relecture d’ouvrages plus ou moins anciens. Avec Carmen, on aura même affaire à une « double relecture ». « Je crois que l’on sera à la fois très proche de l’œuvre, mais d’une manière inattendue, glisse le directeur. Tcherniakov n’est pas un artiste qui monte un opéra auquel il est insensible ; il ne déconstruit pas négativement. Quant à Pablo Heras-Casado, je suis de près ce chef au parcours original, passé par la musique ancienne, qui vient aux œuvres par d’autres chemins que les grand chefs de tradition – ce qui n’enlève rien aux qualités de uns et des autres. Tcherniakov n’avait pas envie de monter Carmen avec un chef routinier, et vice versa : le dialogue s’annonce prometteur !
Stéphanie d’Oustrac tiendra le rôle-titre ; une chanteuse que l’on connaît depuis longtemps à Aix car la mezzo a travaillé autrefois à l’Académie du Festival et était présente dans Le retour d’Ulysse avec William Christie en 2000. L’Académie du Festival ? Une vraie « pépinière », essentielle aux yeux de B. Focccroulle. « L’acte de fondation de l’Académie par Stéphane Lissner en 1998 est un acte visionnaire. Quand je suis arrivé à la tête du Festival j’ai été frappé par les interrogations sur la raison d’être de l’Académie. Son rôle manquait d’évidence et j’ai voulu la mettre au cœur du Festival, afin qu’elle l’irrigue et le transforme ; c’est ce qui s’est passé. Nous avons mis l’accent sur la fidélisation, plus personne ne me demande « à quoi bon cette Académie pour les chanteurs ? ». Pas loin d’une vingtaine de chanteurs passés par elle figurent dans les productions de cette année. Cela contribue à un esprit de famille, à une proximité affective entre le Festival et les artistes ; c’est un avantage majeur. »
L’Académie au cœur du Festival
« Le chant a été le premier département de l’Académie, rappelle le directeur, très vite la musique de chambre est arrivée. La création était là dès le départ grâce à Pierre Boulez, mais a été un peu mise entre parenthèses pendant quelques années. En 2007, j’ai voulu la remettre au cœur de l’Académie avec l’atelier « Opéra en Création », qui réunit des artistes de toutes disciplines. Quant à l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée, il est arrivé à Aix en 2010 et est intégré à l’Académie depuis 2014. Aujourd’hui celle-ci implique 300 à 350 jeunes artistes venus du monde entier, en forte proportion d’Europe et du bassin méditerranéen. Leur présence au Festival est précieuse, ce sont aussi des spectateurs ; ils viennent voir leurs aînés et cela crée des moments de transmission formelle et informelle. »
De l’Académie sont d’ailleurs issus pas moins de six des interprètes de l' Erismena de Cavalli que Leonardo García Alarcón dirige cette année dans l’écrin parfait du Jeu de paume, avec Jean Bellorini à la mise en scène – une autre belle équipe sera là à l’œuvre ! Que de chemin parcouru par Alarcón depuis Elena en 2013, moment clé « qui a permis au monde musical de prendre conscience du talent exceptionnel du chef argentin », se félicite B. Foccroulle.
L’Académie est moins un lieu de formation que d’insertion professionnelle, constate-t-il. Sa contribution au Cavalli qui arrive en est la preuve, tout comme la participation de trois lauréats HSBC de l’Académie au concert Duparc du 1er juillet (à Maynier d’Oppède). Si le Festival s’ouvre officiellement le 3 juillet, la fête musicale aixoise commence dès ce 12 juin avec le prélude « Aix en Juin ». Et, comme de coutume, il fait une belle place aux artistes de la nouvelle génération.
Quant à l’après Aix, Bernard Foccroulle songe à « écrire, jouer, composer ». L’organiste qu’il est pourra travailler de manière plus détendue que par le passé. Reste qu’il n’a pas délaissé son instrument avec 25 CD (dont ceux constituant ses intégrales Bach et Buxtehude, pour Ricercar) enregistré durant ses vingt-cinq années de direction d’Opéra. Composer ? Un projet d’opéra ? « Pourquoi pas, mais pas tout de suite ! »
Alain Cochard
(Entretien avec Bernard Foccroulle réalisé le 19 avril 2017)
69ème Festival d’Aix en Provence
Du 3 juillet au 22 juillet 2017
festival-aix.com/fr
Photo B. Foccroulle © P. Victor
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