Journal
Harmut Haenchen dirige le Chant de la Terre au Festival de Saint-Denis – Résonance sacrée
Singulier contraste, après l'étourdissante babel de langages du Coro de Luciano Berio (1), que le grave cheminement méditatif du Chant de la terre, chef d'œuvre tardif d'un Gustav Mahler meurtri par les coups du sort, et en quête de sérénité orientale, de dépouillement spirituel. Achevée en 1908, créée trois ans plus tard, après la mort du musicien, cette symphonie est en fait la « neuvième » de son auteur qui, par superstition, évite d'afficher ce numéro fatidique. Sous les voûtes de la Basilique de Saint-Denis, ces six lieder « pour ténor, alto et orchestre » se colorent d'une résonance sacrée.
Toute de noblesse et de simplicité, la direction du chef allemand Harmut Haenchen (photo) – appelé en remplacement de Robin Ticciati, souffrant –contribue puissamment à cette aura de religiosité. D'une élégance communicative, sa battue entraîne l'Orchestre National de France dans un sillage de clarté et de transcendance sonores. Farandoles de croches frémissantes des pupitres de cordes (Le solitaire en automne), trilles frénétiques des pupitres de flûtes (L'homme ivre au printemps) : l'orchestre du Chant de la terre, s'il reste d'un effectif raisonnable, abonde en effets instrumentaux pittoresques, qui mettent à rude épreuve la vaillance des deux solistes vocaux.
La partie du ténor est particulièrement « sportive » : rompu aux poids et altères wagnériens, l'Américain Brandon Jovanovich possède toute la vaillance requise. A la jeune mezzo écossaise Karen Cargill revient la part la plus longue et la plus bouleversante de l'œuvre : l'Adieu final, qui, à lui seul, dure autant (une demi-heure) que les cinq mouvements précédents. Elle s'y montre musicienne de grande classe, ne forçant jamais le ton, passant de la désolation la plus amère à une intériorité résignée, puis à un apaisement quasi panthéiste, une foi dans la pérennité de la nature. D'où ce mot ultime « ewig » (éternel), répété jusqu'à l'épuisement du souffle, parmi les soupirs du célesta et des harpes, l'acquiescement murmuré des cors et des trombones avec sourdines. Un poudroiement, un scintillement sonores, en harmonie avec la lumière qui filtre, à la tombée du jour, des vitraux de la Basilique.
Gilles Macassar
(1) www.concertclassic.com/article/teodor-currentzis-inaugure-le-festival-de-saint-denis-la-respiration-du-monde-compte-rendu
Saint-Denis, Basilique, jeudi 8 juin, 20 h 30, Festival de Saint-Denis / Festival de Saint-Denis, jusqu’au 29 juin festival-saint-denis.com/fr/home/
Photo © Riccardo Musacchio
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