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Don Carlo à l’Opéra de Marseille - Unité et intensité - Compte rendu

D’emblée, on doit saluer l’équipe marseillaise pour ce spectacle puissant, difficile, mené jusqu’aux extrêmes de l’émotion et de la réflexion, avec des moyens dont on sait qu’ils ne sont pas extensibles. Se lancer dans l’aventure du Don Carlo de Verdi, même lorsque l’œuvre est amputée de l’acte dit « de Fontainebleau », qui donnait à l’opéra initialement conçu pour l’Opéra de Paris, une longueur inusitée, sans doute excessive, est toujours périlleux par l’énormité des moyens vocaux et dramatiques hors pair qu’elle implique pour faire ressortir la complexité de la pièce de Schiller, et la fidélité passionnée avec laquelle Verdi a su entremêler les nœuds gordiens que les personnages ont à trancher.
 
 Il n’y a pas une lueur d’espoir dans cette œuvre terrible qui étreint, oppresse et mène au cœur de multiples problématiques où s’entrechoquent visions politiques audacieuses, idéaux libertaires de l’époque romantique, oppression des humains par les pouvoirs terrestre et spirituel, et détresse des individus noyés dans des drames qui les dépassent ! Et peu d’envolées dans cette manière scénique essentiellement théâtrale qui fait que les horreurs évoquées par Le Trouvère ou Rigoletto, par exemple, peuvent trouver quelque accalmie dans les airs brillants qui les sillonnent, tandis qu’ici, tout est enfoncé à coups d’assommoir, à l’exception des percées d’Eboli, qui tente le charme ou la vocalise affolée.
 L’idée que l’on retient d’abord de ce spectacle étreignant, pour lequel a donc été choisie la version de Milan, écourtée par Verdi, est son unité, ce qui est majeur pour cette musique qui vaut par sa fusion avec le texte et ne permet pas de numéros de bravoure isolés. Unité que l’on doit en tout premier à Charles Roubaud, habitué des grands drames lyriques qu’il a abondamment mis en scène, aux Chorégies d’Orange notamment. Spectacle d’abord donné par l’Opéra de Bordeaux, avec une optique un peu différente puisque le spectacle avait été mis en place à l’Auditorium. Ici, même options générales mais plus de réalisme surtout pour les costumes, où pas une fraise, pas un vertugadin n’a été négligé.
nicolas courjal

Nicolas Courjal ( Philippe II) © Christian Dresse

Mais surtout Roubaud, avec une fine approche psychologique, a su tracer le chemin de l’humain, avec des gestiques qui ne sont ni expressionnistes ni abstraites, au milieu de conflits vertigineux, et faire sortir des silhouettes momifiées des protagonistes, des gestes vrais, simples, qui n’en sont que plus éloquents. Deux exemples marquants à cet effet : le personnage de Rodrigue, marquis de Posa, souvent considéré comme un peu terne, est ici celui qui s’impose le plus par l’humanité brûlante de son propos et de son élégance. Il est vrai qu’il est incarné par l’acteur majeur de la soirée, Jean François Lapointe, dont la ferme douceur et la voix chaleureuse bouleversent. Autre figure pivot, bien évidemment, celle de Philippe, dont Roubaud, en accord avec la richesse psychologique de la musique de Verdi, parvient à faire ressortir la détresse, l’emmurement. L’affreux souverain en devient presque touchant et c’est l’un des grands tours de force du spectacle. Il est vrai que Nicolas Courjal, par sa sensibilité et sa voix claire, affine ce personnage trop souvent taillé dans le marbre. Lui et Lapointe dominent largement le spectacle dans leurs échanges et la tendresse qui sourd de leurs conflits irréductibles.

© Christian Dresse

Tel n’est pas le cas, par contre, des affrontements avec le Grand Inquisiteur, incarné de façon académique par Wojtek Smilek, solide mais peu impressionnant, si l’on prend en considération les terribles diktats  proférés par cet ange exterminateur. Les dames, elles, sont à la hauteur, surtout l’émouvante et aristocratique Yolanda Auyanet, venue des Canaries, et qui déploie des aigus d’une ampleur royale, ainsi qu’une finesse de jeu qui convient idéalement à son personnage martyrisé à force de dignité. De la mezzo Sonia Ganassi, on dira qu’elle est, à son accoutumée, solide, efficace, sûre en Eboli. Le seul point véritablement faible du plateau demeurant le ténor roumain Teodor Ilincai qui incarne Don Carlo, rôle il faut dire peu séduisant et peu gâté par Verdi. On a donc regretté ses éclats un rien criards, son jeu ampoulé, sans avoir négligé pour autant son très beau medium et des accents dorés qui par moments montrent ses moyens.
 
Pour le reste, le chef Lawrence Foster, qui avait endossé une chemise de pionnier à carreaux pour faire face à la fournaise des âmes et des corps, dirigeait l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra de Marseille – ces derniers remarquables – avec une vitalité qui contrastait avec l’étalement dans lequel on statufie souvent ce Don Carlo, pour le rendre plus oppressant encore. La chose était du meilleur effet la plupart du temps, un peu moins réussie pour le fameux air « Ella giammai m’amo »,de Philippe II, commencé presque en légèreté, là où on attendrait un moment de douloureux recueillement dans un temps arrêté.
 
 Et pour ajouter une note facétieuse à l’évocation de ce «destructeur tableau de famille dans une maison princière», comme le présentait Schiller, on pourrait suggérer à l’Opéra de Marseille de programmer ses opéras « en fraise » pendant l’hiver! Car si les spectateurs agitaient frénétiquement les jolis éventails mis à leur disposition par la maison, les chanteurs, eux, devaient souffrir male mort dans leurs terribles carapaces ! Ce qui ne semble heureusement pas avoir affecté leurs moyens. Et puis, dire Schiller (revu par MM. Du Locle et Méry), en chantant Verdi, quelle fabuleuse plongée dans la tourmente romantique, même en vertugadin ! Humains trop humains !
 
Jacqueline Thuilleux

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Verdi : Don Carlo - Marseille, Opéra, 14 juin, dernière le 17 juin 2017. www.opera.marseille.fr
 
Photo © Christian Dresse

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