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Jean Rondeau joue les Variations Goldberg au Festival de Saint-Denis - L’essence et l’expression - Compte-rendu
C’est toujours mettre un pied dans le grand inconnu que de s’aventurer dans l’écoute des Variations Goldberg, et évidemment dans leur interprétation. Pour l’auditeur, s’il survit, c’est une descente fascinante et forcément imparfaite dans tous les méandres du flamboyant génie de Bach, mais pour celui qui est aux commandes, et a tous les éléments en main, ce doit être la plus formidable joute qui soit avec ces sommets de liberté et de contrainte, puisque toutes les formes d’écriture y jaillissent en explosion permanente, une explosion qui va au-delà de la pensée et de la maîtrise d’écriture.
On ne citera pas tous ceux qui s’y sont plongés, passant du clavecin au piano, de Landowska à Gould, de Hantaï à Mei, Perahia et Tipo, outre la dernière gravée par Tharaud, et des dizaines d’autres. A chaque audition, que l’on soit séduit ou pas, l’aventure se révèle harassante et éblouissante. Mais à une plus ou moins grande portée. D’autant que l’œuvre, pendant quelques décennies moins considérée que Le Clavier bien tempéré, est aujourd’hui sacralisée.
C’est donc avec un respect quasi religieux qu’on reçoit les douces et fines notes de l’Aria, avant d’entrer dans la ronde. Pour Jean Rondeau, jeune phénomène qui irradie les scènes depuis quelques années, c’est une première sur ses terres. Ces Goldberg, il les a promenées partout dans le monde depuis cet hiver, mais c’était la première fois qu’il les jouait en France, tout en refusant de les enregistrer avant quelques années, preuve, non pas qu’il ne se sente pas prêt d’être confronté aux autres passeurs de Bach, mais surtout qu’il imagine y descendre plus loin encore. Et ces Goldberg, il n’en fait pas du Rondeau, mais reste dans l’orbite d’un Bach servi, aimé et compris pour ce qu’il ne percevait pas forcément lui-même, tant cet éventail extrêmement codé devait lui paraître naturel, à ce que disent ses exégètes.
D’entrée de jeu, le personnage farfelu et ô combien sérieux que compose le jeune claveciniste improvise quelques mesures, histoire de tester son instrument et de mettre le public en situation d’écoute, voire d’alarme. Tout doucement, comme une danseuse fait ses pointes et ses pliés avant d’entrer en scène. Puis c’est la magie, car le clavecin joué par Rondeau – signé Bruce Kennedy, d’après Christian Zell-Hambourg 1728 – n’a plus grand-chose de commun avec les machines à coudre raillées lors de la réapparition de l’instrument. Il sonne comme de la soie qu’on déplierait et caresserait, et on suit ses ondulations en retrouvant, plus que bien souvent, la mesure clef reprise par la variation concernée.
Première partie brillante, difficile, puis une fabuleuse Variation 16, à la française, qui dévie le style de l’œuvre et la fait basculer dans un monde infiniment plus poétique et fou. C’est là que l’interprète donne le meilleur, ne baroquisant que pour l’essentiel, passant du chatoyant au foudroyant, avant de s’emporter sur le piquant Quodlibet et de laisser filer le da capo vers l’inconnu : conclusion ou réouverture, personne n’a jamais su. Sans effet du moindre maniérisme, creusant l’expression sans la majorer, car le vouloir ici doit l’emporter sur l’effet, malgré tout son éclat.
Tout est là, et grâce à cette vision respectueuse et fulgurante, on se dit qu’il doit y avoir plus encore ; c’est le meilleur compliment qu’on puisse faire à l’interprète des Variations Goldberg. Quant au personnage de Rondeau, s’il a trouvé ses doigts, il cherche encore son look, assurément et s’amuse à brouiller les pistes ; on l’a connu coiffé façon Woody Woodpecker, ou Lang Lang, ou barbu tel Moïse, le voici christique, son fin visage noyé de longs cheveux se découpant sur l’immense Soleil qui orne la Chapelle de la Légion d’Honneur, un lieu attachant auquel on ne peut que reprocher une acoustique qui majore notablement les sons : de ce fait les bancs crient, ce qui gêne dans les moments recueillis, mais le clavecin n’en trouve que plus d’éloquence ! « Nous partîmes cinq cent, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port… » On n’y a pas perdu !
Jacqueline Thuilleux
Saint-Denis, Chapelle de la Légion d’honneur, 24 juin 2017.
Photo © FSD 2017
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