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Festival de l’Abbaye de Saint-Michel en Thiérache 2017 – Ardente clôture – Compte-rendu
Sa foncière modestie dût-elle en souffrir, il convient de d’abord de saluer (1) le rôle de Jean-Michel Verneiges (directeur de l’Adama - Association pour le Développement des Activités Musicales dans l’Aisne) lorsque l’on évoque le succès du Festival de l’Abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache, à quelques encablures de Hirson et de la frontière belge. Depuis plus de trois décennies, cet homme de terrain, entouré d’une équipe de bénévoles enthousiastes, œuvre au développement d’une manifestation qui a vu le jour au mitan des années 1980 autour de l’orgue Boizard (1714) de l’abbatiale, instrument désormais mondialement connu grâce aux nombreux enregistrements auxquels il a prêté sa sonorité unique et admirable.
Jean-Michel Verneiges © M.E. Bretel
Pas de véritable date de fondation pour le festival mais des activités musicales se développant peu à peu à l’Abbaye. En 1987, elles incitent Gilles Cantagrel, alors directeur de France Musique, à poser les micros de la chaîne à Saint-Michel-en-Thiérache pour une journée spéciale. Autre époque, autre idée de la musique - et du "service public" ... Il fallait une année de naissance au festival : 1987 aura donc été arbitrairement retenue. C’est à partir du milieu des années 1990 que Saint-Michel-en-Thiérache prend sa forme actuelle, attirant des mélomanes séduits par la qualité de l’affiche, comme par celle de l’accueil dans une atmosphère conviviale. Par le contact facile avec les artistes aussi ; « un festival où l’on a envie de revenir » confie une fidèle, qui insiste en outre sur des tarifs « très abordables ».
Le public a répondu en nombre pour la journée de clôture de l’édition 2017, et ce dès le concert du matin dans l’acoustique remarquable de l’abbatiale. Attentif aux musiciens de la jeune génération, Jean-Michel Verneiges n’avait pas manqué d’inviter Justin Taylor en récital dès l’an dernier. Le claveciniste vole de succès en succès ; il vient d’être désigné « Révélation 2016-2017 » par l’Association professionnelle de la Critique, et son ensemble, le Taylor Consort (photo) (avec Théotime Langlois de Swarte, violon ; Sophie de Bardonnèche, alto et Louise Pierrard, viole), a remporté il y a peu le Premier Prix du Concours de musique ancienne du Val de Loire, dont le président du jury n’était autre que William Christie.
Eva Zaïcik © DR
On vous a déjà dit les grands mérites de cette formation l’an dernier, à l’occasion d’une de ses toutes premières apparitions, à Vézelay, en compagnie d’Eva Zaïcik (2). La mezzo et les instrumentistes se retrouvent à Saint-Michel-en-Thiérache dans un programme ouvert par la Sonate en trio en sol mineur, op. 1 n° 3 de Dandrieu. Mise en bouche toute de complicité poétique et souriante – puisse le Taylor Consort nous offrir sans trop tarder un album Dandrieu ! –, qui mène à la cantate La Bergère de M. Pignolet de Montéclair. Comme dans la cantate Léandre et Héro de L.-N. Clérambault, placée un peu plus loin dans le cours d’un programme bien construit, la chanteuse séduit par la richesse de son timbre et son art de la prosodie. Nulle mièvrerie, mais un sens inné des caractères qu’une entente remarquable avec ses partenaires lui permet d’affirmer au mieux. La présence dramatique d’Eva Zaïcik s’illustre plus encore dans un prenant Lamento de Didon de Purcell, puis avec deux airs de Haendel, « Scenes of horror » (Jephta) et « Where shall I fly ? »(Hercules) : virtuosité vocale et justesse de l’expression font cause commune chez une tragédienne née.
Kit Amstrong © Künstlersekretariat Schoerke GmbH
Changement de lieu après le déjeuner puisque le festival se déplace à Hirson pour un récital de Kit Armstrong à l’église Sainte-Thérèse, bâtiment Art Nouveau dont le pianiste anglo-taïwanais a fait l’acquisition en 2012 pour le transformer en centre culturel. Amstrong commence par la Passacaille du 8ème Ordre de Couperin, vaste pièce qu’il aborde avec sensibilité, assumant les couleurs d’un beau Steingräber tout en préservant une grande clarté polyphonique. Celle-ci ne distingue par moins l’Ouverture à la française BWV 831 de Bach. Noblesse et esprit distinguent une interprétation au cours de laquelle le pianiste sonde le détail et affûte les rythmes avec jubilation. Haendel aura été le trait d’union des trois concerts la journée : transcrite par Liszt, la Sarabande et Chaconne d’Almira clôt le récital avec lyrisme et imagination sonore. Reste le bonheur du bis : The Earl of Oxford March de Byrd dont les contrastes et la force évocatrice font mouche. Vivement un récital (concert ou CD) tout dédié aux virginalistes anglais sous les doigts d’Armstrong !
Nathalie Stutzman @ Simon Fowler
Les navettes attendent devant l’église Sainte-Thérèse et le public est pour l’essentiel bientôt de retour à l’abbatiale pour un dernier concert confié à Nathalie Stutzman, soliste et chef d’Orfeo 55 dans un programme « Enemies » évoquant la rivalité entre Porpora et Haendel à Londres.
Après une Sinfonia en trio op. 2 n° 2 de l’Italien, menée de façon aussi tonique que lumineuse, la contralto aborde le Salve Regina en fa majeur. Lyrisme intense, couleurs ambrées, Stutzman traduit la prégnance poétique d’une belle et rare partition, avant diriger le Largo du Concerto pour violoncelle en sol majeur (sous l’archet inspiré de Patrick Langot) et de conclure par l’air « Alto Giove » (Polifemo), rayonnant de noblesse, une première partie Porpora très homogène.
Place à la rivalité Haendel-Porpora ! Du premier, l’allegro initial de la Sinfonia HWV 338 mène avec éclat au « Verso gia l’alma nel core » (Aci, Galatea e Polifemo), puis au « Stille amare » (Tolomeo). Aussi prenants l’un que l’autre, ces deux airs soulignent la relation proprement fusionnelle de Stutzman avec un ensemble qui, après le « Tradita, sprezzata » de la Semiramide de Porpora, intensément vécu, déploie des couleurs merveilleuses dans l’illustre « Cara sposa » de Rinaldo. Envoûtant ... Mais le mot de la fin revient à Popora et son « Fuggi,fuggi degli occhi miei » (Semiramide riconosciuta) dans lequel la contralto et Orfeo 55 allient feu vocal et furia instrumentale avec un art consommé.
Alain Cochard
Abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache, église Sainte-Thérèse d’Hirson, 25 juin 2017
(1) www.concertclassic.com/article/musique-dans-laisne-pas-de-fatalite-lechec-culturel-sur-un-territoire-rural
(2) www.concertclassic.com/article/rencontres-musicales-de-vezelay-ca-commence-tot
Photo (Taylor Consort) @ Jean-Baptiste Pellerin
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