Journal
Siberia de Giordano au Festival de Radio France Occitanie Montpellier – Passion et raffinement – Compte-rendu
Cinq ans après ce dernier, Giordano livrait un autre melodramma en trois actes, fruit d’une nouvelle collaboration avec Luigi Illica. Le librettiste d’Andrea Chénier était cette fois allé cherché son inspiration dans la littérature russe (Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski, Résurrection de Tolstoï). Des salons aristocratiques de Saint-Pétersbourg au bagne sibérien : partition étonnante que Siberia ; à une inspiration caractéristique de la Jeune école italienne se mêlent des mélodies populaires russes (à commencer par les fameux Bateliers de la Volga). Et pour accentuer la couleur locale – comme le faisait le shamisen d’Iris –, des sonorités de balalaïkas résonnent à l’acte III !
La belle Stephana – dont le prince Alexis convoite la main – s’est laissée séduire par Vassili, jeune officier. Combat au sabre à la fin du I entre Alexis et Vassili. Ce dernier blesse le prince ; fait prisonnier il sera condamné au bagne. Les sentiments de Stephana la poussent à aller retrouver Vassili en Sibérie. Informé du passé volage de la jeune femme, il s’emporte d’abord, avant de lui pardonner. Les amants prennent la fuite. Le tir d’une sentinelle atteint Stephana, qui expire dans les bras de Vassili.
Simplissime, l'argument offre à Giordano la matière d’une composition ramassée et sans temps mort où passion latine et fatalisme russe s’unissent d’une manière aussi efficace qu’émouvante. Si les envolées lyriques ne manquent pas, il faut saluer une palette sonore raffinée et une orchestration inventive. Le vaste prélude du II par exemple montre un sens des timbres admirable. En 1905, deux ans après la création à la Scala, Paris découvrit Siberia. Gabriel Fauré ne manqua pas de dire son admiration pour cet acte II (1), ce que l’on comprend d’autant mieux lorsque l’on découvre l’ouvrage sous la baguette de Domingo Hindoyan, de retour à Montpellier après la réussite d’Iris l’an dernier.
Fervent et subtil, rejetant toute outrance, attentif à ses chanteurs, le chef fait des merveilles à la tête d’un Orchestre national Montpellier Occitanie très impliqué. On l’imagine d’autant plus prompt à soigner les choses que son épouse, Sonia Yoncheva, tient le rôle de Stephana. Il semble lui avoir été destiné, tant la soprano, voix souple, ronde, richement timbrée et d’une homogénéité parfaite, se glisse avec naturel dans son personnage. En Vassili, le Turc Murat Karahan affronte un emploi vocalement très exigeant et, bien que s’étant un peu trop donné au I, convainc en bout de course par son engagement et sa crédibilité dramatique. A l’instar de Sonia Yoncheva, Gabriele Viviani était présent dans Iris l’an passé. Il campe cette fois un Gleby de belle stature, mais qui ne souffrirait pas d’un peu plus de complexité psychologique.
A côté de ces trois personnages principaux, et bien que le rôle tienne en quelques mesures, la Fanciulla d’Anaïs Constant mérite force éloges. Belles interventions aussi d’Alvaro Zambrano (Alexis) et de Marin Yonchev. Si la Nikona de Catherine Carby se montre par trop discrète, la riche basse de Riccardo Fassi, remplaçant de Jean Teitgen, ne passe pas inaperçue. Un grand coup de chapeau enfin au chœur (réunion du Chœur de l’Opéra national de Montpellier Occitanie et de celui de la Radio Lettone) ; pièce maîtresse de Siberia, il tient admirablement son rôle.
Alain Cochard
Giordano : Siberia – Montpellier, Corum – Opéra Berlioz, 22 juillet 2017 (Diffusion en direct sur France Musique)
Photo (Sonya Yoncheva) © Luc Jennepin
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