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10e Festival de Pâques d’Aix-en-Provence – Joyeuse renaissance – Compte-rendu
En 2021, ce fut surréaliste, avec des salles évidemment vides. Cette année, la vie renaît, et les ondes frémissent à nouveau dans les grands sites aixois, du Grand Théâtre de Provence au Théâtre du Jeu de Paume, de la cathédrale Saint-Sauveur au Camp des Milles, sans parler de l’excellent auditorium du Conservatoire Darius Milhaud. A la tête d’une opulente fournée de 27 concerts, Dominique Bluzet, directeur exécutif, et Renaud Capuçon, directeur artistique, exultent de voir revivre le rutilant rendez-vous musical qu’ils ont initié. Mieux encore, ils vont de l’avant, car la disette de public leur a permis de mieux mesurer l’intérêt du numérique, qui dépasse leurs frontières et peut toucher chacun dans son foyer : un million et demi d’auditeurs ont ainsi suivi leur tentative l’an passé.
Renaud Capuçon © Simon Fowler
Dans une ambiance joyeuse qui imprègne chaque rendez-vous, le festival retrouve ses marques d’excellence, car, outre la participation considérable de Renaud Capuçon lui-même puisqu’il se produit cinq fois, pouvoir aligner des noms aussi prestigieux que ceux de Maria João Pires, Thomas Zehetmair, Nelson Goerner, Juan Diego Flórez, Yuja Wang et Martha Argerich est déjà un tour de force. Tout en réunissant une escouade de musiciens français tous plus affirmés les uns que les autres : de Jérôme Pernoo à Claire-Marie LeGuay, de Marc Coppey à Raphaël Pichon et Gérard Caussé.
Agitateur de musique et de musiciens, chambriste passionné, Capuçon, depuis toujours, a aimé promouvoir et aider les générations montantes, ce qui nous vaut quelques uns de ses « coups de cœur », comme le Trio Hélios. A quoi s’ajoutent des rencontres, des ateliers, des clins d’œil à l’enfance, pour fertiliser le terrain autant que de l’enchanter. Autre initiative majeure, celle de faire converger vers Aix-en-Provence ainsi nombre d’importantes formations régionales, qu’on a peu l’occasion d’entendre hors de leur zone d’ancrage : ainsi a-t-on pu apprécier les qualités de l’Orchestre Philharmonique de Nice, vitalisé par la baguette électrique de Lionel Bringuier (photo), qui accompagnait, dans un programme délicieusement académique(Ma patrie et La Moldau de Smetana, puis la 5e Symphonie op. 64 de Tchaïkovski), un Renaud Capuçon dans une forme étincelante pour le Concerto op. 26 de Bruch.
Maria João Pires © Caroline Doutre
Autre plaisir, la transparence des cordes, vibrantes telles des ailes de papillon, de la Philharmonie de Monte-Carlo pour l’ouverture du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, et le flamboiement de ses cors dans la Symphonie n° 1 « Le Printemps » de Schumann, avec à la tête de cette brillante formation qui a connu les plus grands chefs, Kazuki Yamada, vigoureux émule de Seiji Ozawa. Les deux pièces encadrant une toujours aussi souveraine Maria João Pires, tout en délicatesses perlées, et élégante virtuosité pour le Concerto « Jeunehomme » de Mozart.
Puis, tandis que le public survolté la réclamait à cors et à cris, Pires a oublié les trilles, et tracé d’un pinceau japonais le Clair de lune de Debussy, diffusant un élixir de paix et de douceur. Quelques jours avant la sauvage Argerich, qui jouera Schumann, Beethoven et Franck en duo avec Renaud Capuçon, le contraste à venir promettait une excitante confrontation.
Stanislas de Barbeyrac © DR
Coups de cœur de Capuçon, donc, coups de cœur du public aussi, car, pour ce début de festival, l’un des chocs a été assurément le récital de mélodies et de lieder d’un duo inattendu, Michel Dalberto et Stanislas de Barbeyrac, qui remplaçait Stéphane Degout, initialement prévu. A priori, on ne les imaginait pas mariant leurs styles, malgré une passion commune pour la musique française : Dalberto fin, pointilliste, provoquant des chocs par sa fantastique maîtrise des plans sonores et des silences entre deux traits acérés ou poétiques, et Barbeyrac, ample, doré, déployant à l’infini sa voix solaire, ouverte sur l’horizon. Pourtant leur alliance, toute récente, fut un moment d’une rare intensité : des Lieder eines fahrenden Gesellen de Mahler, un peu rectilignes, aux envoûtantes mélodies de Duparc, dont l’Invitation au Voyage et l’incontournable Phidylé, ciselés par Barbeyrac avec une diction que l’on sait exemplaire. Mais surtout, avec les Dichterliebe de Schumann, on a pénétré profondément dans cet univers introverti, tout en nuances, où les deux interprètes mêlaient douceur et douleur, avec chez Barbeyrac une palette intimiste que l’opéra permet moins. On ne le savait pas schumannien à ce point, même si l’on est sûr que sa voix est à l’évidence mûre pour Wagner, cas exceptionnel parmi les ténors français.
Un maître du genre en a d’ailleurs conscience puisque Daniel Barenboïm lui confie le rôle d’Erik dans le Vaisseau Fantôme en mai 2023, au sein de sa pléthorique saison de rentrée du Staatsoper de Berlin. Ensuite, dans les prochaines années, viendra sans doute Siegmund, dont il ne peut pour l’instant dévoiler la date et le lieu. Mais ceci est une autre histoire. En attendant, il aura créé un choc stylistique et émotionnel dans ce festival qui en regorge.
Jacqueline Thuilleux
Aix-en-Provence, Festival de Pâques, 9 et 10 avril 2022 ; jusqu’au 24 avril 2022. www.festivalpaques.com
Photo © Simon Pauly
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