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1610-2010 : Le Vespro de Monteverdi à l’épreuve des siècles
Au tout-début de l’ère baroque – et trois ans après le séisme majeur que fut l'Orfeo du même à la scène – le Vespro de Monteverdi est ce monument d’expressivité qui a changé radicalement le visage de la musique occidentale au sanctuaire. Avec, nouveauté majeure, l’entrée du théâtre à l’office, mais sans qu’en souffre un seul instant le profond sentiment liturgique qui l’habite.
Mais d’abord, un bref rappel historique. Nous sommes à la cour des Gonzague à Mantoue en 1610. Dans cet étroit décor d’intrigues où il œuvre depuis une vingtaine d’années, Monteverdi ne s’est jamais vraiment senti à l’aise, nonobstant le triomphe de l’Orfeo. Excédé par les tracasseries de ses employeurs (« les espérances, quand j’en ai eues, n’ont jamais été qu’un vain mot du Seigneur-Duc »), il songe à rebondir loin de l’orgueilleuse Maison et, à cet effet, fait imprimer cet imposant recueil du Vespro qu’il dédie et part présenter au pape Paul V dans l’été de la même année à Rome. On y trouve une Messe à 6 voix dans un rigoureux style A cappella, puis la Liturgie des Vêpres à la Sainte Vierge proprement dite, où, par contraste, éclate le génie moderne et « représentatif » du Crémonais, et enfin des motets et des hymnes, qui, intercalés entre les psaumes, remplacent très librement les antiennes traditionnelles de l’office. Ces pages – et surtout les 4 motets pour solistes ou sacri concerti – sacrifient pareillement au stile nuovo et doivent leur vocalité subjective à la monodie et au récitatif du tout jeune drame lyrique, précisément incarné à la scène par l'Orfeo.
Aujourd’hui vieux de 400 ans, le Vespro vibre toujours d’une irrépressible jeunesse, liturgie fondatrice qui a influé avant toute autre sur la destinée de la musique baroque à l’office.
Disons que volonté d’apparat et sentiment intérieur sont étroitement imbriqués au long de l’œuvre. Chacun des 5 psaumes de l’office est ainsi fondé sur une teneur de plain-chant, répétée et variée avec une rare liberté prosodique et rhétorique, cependant que l’instrumentarium y semble souvent proche des Symphonies sacrées gabriéliennes. Mais en fait, Monteverdi s’y souvient surtout du riche orchestre de l’Orfeo, avec l’éclat des cornets, violons et la gloire des trombones : un soutien bienvenu tant pour les déclamations chorales en faux bourdon que pour les agiles monodies dévolues aux solistes.
D’entrée, l’opulence acoustique est au rendez-vous avec l’intonation grégorienne Deus in adjutorium meum intende, tandis que retentissent à l’orchestre les fanfares solennelles de la toccata de l'Orfeo, hymne de la maison Gonzague en l’occurrence. Suit la dramaturgie des Psaumes, avec l’impressionnant portique liminaire du Dixit Dominus (à 6 voix et 6 instruments), la captivante spatialité du Nisi Dominus (double chœur à 10 voix), l’espace mystique ouvert par les visions de l’hymne Ave Maris stella et, en guise de conclusion, une double rédaction du Magnificat qui, dans la version à 7 voix, tourne, dans la doxologie, à la ronde cosmique, tandis que le geste dévot vibre pareillement dans les pages pour solistes (un Duo Seraphim clamabant pour 3 ténors, livré à une vocalité éperdue : figurations, trilles et autres ornements funambules).
Pour autant, le sommet spirituel de l’ensemble pourrait bien tenir dans la Sonate à huit sopra Sancta Maria. Une page à la dévotion hypnotique et cependant d’une virtuosité transcendante à l’orchestre, coloré des timbres des cornets et trombones. Une éblouissante sinfonia à la francese y entoure l’invocation grégorienne « Sainte Marie, priez pour nous », répétée litaniquement par les sopranos, le mouvement instrumental se régénérant sans cesse sur d’audacieuses mutations rythmiques qui épousent le profil du cantus firmus pour l’apothéose des dernières mesures, à l’effet acoustique stupéfiant. A ceci près que le Crémonais y recherche moins l’effet spectaculaire qu’une certaine lumière mystique dans le cheminement de la prière.
Tel quel, un événement majeur du concert Hautes Epoques revit là dont la commémoration s’avère d’ores et déjà l’un des temps forts de l’année. Avec, entre autres, une tournée française déjà commencée sous l’autorité de Jean Tubery, cornettiste insigne et orfèvre en matière de sonorités d’époque à la tête de son Ensemble La Fenice, le complice choral étant le valeureux ensemble Arsys de Bourgogne avec un bouquet de voix précieuses et qui chassera en quelque sorte sur ses terres pour un concert emblématique en l’Abbaye de Fontenay, le 15 mai prochain, dans le cadre du 10e Festival Agapé.
Roger Tellart
10ème Festival Agapé : www.festivalagape.org
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Photo : DR
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