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38ème Festival international et 23ème Concours d'orgue de Chartres - Un instrument paradoxal - Compte-rendu
Haut lieu par excellence – spirituel, historique, architectural, musical –, la cathédrale Notre-Dame de Chartres offre chaque été une double série de récitals d'orgue : le Festival proprement dit, chaque dimanche à 16 h 30 (cette année du 2 juillet au 2 septembre), et les Soirées estivales, chaque jeudi à 21 heures, tous les concerts étant à entrée libre. Organisé par l'Association des Grandes Orgues de Chartres, fondée en 1964 par l'éditeur Pierre Firmin-Didot, principal mécène du nouvel orgue construit en 1969-1971 par la maison Danion-Gonzalès (restauré en 1996 par Jean-Marc Cicchero), le Festival international fête en 2012 sa 38ème édition. Ouvert par Saki Aoki, Grand Prix d'interprétation 2008 (son CD Tournemire, Litaize, Langlais, J. Alain, Duruflé, enregistré à Chartres, vient de paraître chez Ctésibios [061] – au profit de la Croix-Rouge japonaise), le Festival se refermera sous les doigts de David Baskeyfield (Grande-Bretagne).
L'orgue de Chartres, de réputation mondiale, est un instrument paradoxal. Logée dans un buffet Renaissance (1546) parmi les plus vertigineux qui soient en Europe, l'actuelle partie instrumentale, bien que fonctionnant correctement, n'est pas un chef-d'œuvre de la facture française. D'une esthétique polyvalente, ce que l'on peut comprendre dans un lieu où l'on veut pouvoir aborder tous les répertoires, sa principale faiblesse tient à son harmonisation : on a toujours le sentiment que la matière sonore fait défaut, non pas que l'orgue ne sonne pas, mais ses équilibres sont vacillants, faute d'une réelle personnalité instrumentale et d'une assise permettant à une palette vivante de se déployer librement. Et pourtant, miracle à part entière, qui connaît parfaitement l'instrument – tel Patrick Delabre (photo), son titulaire depuis 1986 (adjoint depuis 1976), entendu le 12 août – peut faire formidablement illusion, l'acoustique de Chartres – l'orgue est suspendu au mur sud de la grand-nef – étant l'une des plus magiques que l'on puisse imaginer. Faire illusion, donc, mais à quel prix !
La console est coincée dans une sorte de « caverne » entre Positif de dos et soubassement du grand corps : des claviers, l'organiste n'entend pour ainsi dire rien. Des micros suspendus en face de l'orgue permettent de se faire « une idée » de ce que l'on entend à quelque distance – mais l'assistance, quinze mètres plus bas, entend tout autre chose, notamment au niveau des basses, « déproportionnées » dans le retour son (au casque – confort assuré durant un récital !) et poussant à registrer la partie de pédalier, notamment, de façon plus charpentée : convaincante au casque, excessive dans la nef. Bref, quand on a le sentiment, et c'était le cas le 12 août, d'entendre une palette parfaitement et naturellement équilibrée, c'est que le musicien-acousticien ayant accompli un tel prodige a dépensé dix fois plus d'énergie et d'inventivité que sur un orgue « normal ».
Ainsi dans la pièce initiale : Magnificat BuxWV 203 de Buxtehude. Un grand plein-jeu presque convaincant – assez pour que Buxtehude soit tonique et sonore, sur un instrument moderne d'esthétique néoclassique –, suivi d'une série de sections fuguées intelligibles à souhait (à Chartres, on entend à la perfection la moindre polyphonie, tant l'acoustique est lumière), dont une sur un jeu d'anche façon « consort de violes » baroque. On imagine un beau jeu d'anche à corps courts, comme sur un Schnitger. Erreur ! Il ne s'agit jamais à Chartres d'un jeu mais d'un assemblage pouvant mettre à contribution plusieurs des quatre claviers manuels pour une même sonorité. Ici une anche prise sur tel clavier, mais étoffée de quelques jeux flûtés empruntés à diverses hauteurs dans le buffet, donnant ainsi volume mais aussi espace à la sonorité globale – indispensable pour que le son ne paraisse pas étriqué. De l'alchimie pure, pour un résultat « combiné » en forme d'ingénieuse cuisine des timbres. Même le cornet du clavier de Grand-Orgue, seul, est trop chétif et doit s'appuyer sur ceux (composés ou décomposés) des autres claviers.
Suivirent trois Chorals de la Clavierübung III (1739) de Bach : BWV 680 (Credo admirablement volontaire), BWV 678 (les Dix Commandements – suprême équilibre entre le chant à deux parties et un accompagnement d'une incroyable présence, mais jamais au détriment de la mélodie de choral), enfin l'extraordinaire Aus tiefer Not ou De Profundis BWV 686, à six parties réelles, dont deux aux pieds. Même combat, si l'on peut dire : s'élever par un agencement « bricolé » des timbres à une majesté supportant sans faiblir l'immensité d'une telle œuvre. Et cela sonnait !
Patrick Delabre poursuivit avec les Trois Paraphrases grégoriennes op 9 (op 5 édité) de Jean Langlais (1907-1991), triptyque de 1933-1934 où l'on croit entendre des réminiscences des improvisations de Charles Tournemire, son prédécesseur à Sainte-Clotilde – l'orgue de César Franck. Une musique convenant à l'esthétique de l'orgue de Chartres, couronnée d'un Te Deum d'apparat. Et pour finir une improvisation faisant entendre l'instrument dans sa diversité, le défi étant de répondre au mystère et à la beauté confondante d'un tel lieu. L'orgue de Chartres est ce qu'il est, mais les récitals d'orgue valent assurément le voyage.
L'idée de reconstruire l'orgue de la cathédrale court depuis bien des années – bloquée par une restauration de l'intérieur de l'édifice maintes fois repoussée. Aujourd'hui, le chœur est restauré, avec ses vitraux, comme l'avaient été précédemment le bas de la nef et les fabuleuses verrières de la façade, chefs-d'œuvre du vitrail médiéval. C'est maintenant le tour de la grand-nef. Les travaux auraient pu déjà commencer, condamnant la saison 2012, mais semblent devoir se faire encore attendre. Censés débuter à l'automne, ils pourraient n'intervenir qu'en 2013, ou pas. Incertitude sur toute la ligne. L'orgue devrait être coffré, mais rien n'est encore prévu pour l'après-restauration du vaisseau. Même coffré, la poussière aura tout envahi. Devra-t-on relever l'orgue tel qu'il est ? Est-il permis de rêver d'un orgue neuf, toujours d'esthétique polyvalente mais dotée d'une vraie personnalité musicale et réellement digne de l'édifice ? Questions de financement, l'époque n'est pas aux grands travaux, etc.
Il se trouve que l'orgue de Chartres est le support de l'un des plus grand concours internationaux, tous instruments confondus, assidûment fréquenté par l'élite organistique du monde entier. Que deviendrait ce rendez-vous si prisé avec un instrument fragilisé par les travaux de restauration de la cathédrale ? Là aussi, l'incertitude plane, en dépit des efforts incessants prodigués par l'Association des Grandes Orgues de Chartres, actuellement présidée par Philippe Lefebvre, organiste de Notre-Dame de Paris – qui fut titulaire à Chartres. Une chose est sûre : le Concours aura bien lieu début septembre. À la fois concours d'interprétation (tous les deux ans) et d'improvisation (tous les quatre ans), le 23ème Concours international d'orgue « Grand Prix de Chartres » portera, sous la présidence de Michel Bouvard, sur les deux disciplines : rendez-vous dimanche 9 septembre pour la finale, dès 13 h 30…
Michel Roubinet
Chartres, cathédrale Notre-Dame, dimanche 12 août 2012
Sites Internet :
Festival international d'orgue de Chartres
http://orgues.chartres.free.fr/agocp4.htm
Concours international d'orgue de Chartres
http://orgues.chartres.free.fr/agocp3.htm
Patrick Delabre
http://orgues.chartres.free.fr/agocp4.htm
Soirées estivales
http://orgues.chartres.free.fr/agocp5.htm
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Photo : Association des Grandes Orgues de Chartres
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