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Abstract/Life, création de Jean-Christophe Maillot pour les Ballets de Monte-Carlo - Le noir et le noir - Compte-rendu
Surprenant personnage que Jean-Christophe Maillot, à la fois clair et plein de surprises, joyeux et angoissé, nageant dans des abîmes qui laissent perplexes : un permanent jeu de métamorphoses qui montrent combien un style affirmé peut connaître d’avatars, grâce à une imagination, et surtout à une interrogation jamais en repos. Plus que la quête d’une œuvre à construire, un besoin de liberté dans l’expression, tout en gardant ses marques, qui lui assurent une lisibilité.
Dans ce nouveau spectacle, donné dans le cadre du Printemps des Arts monégasque, on aime d’abord à signaler le parallélisme entre les deux duos compositeur-chorégraphe : le premier, Stravinski-Balanchine, le second Mantovani-Maillot. Les deux paires, marquées toutes deux par une intense complicité et une fusion musicale, sont intéressantes à mettre en regard. Des premiers, on sait que ce fut quasi l’histoire d’une vie, Balanchine n’ayant cessé de puiser dans l’œuvre du Russe, parfois la plus aride ; pour les seconds, Mantovani et Maillot, ils se sont rencontrés il y a quelques années, ont travaillé ensemble, et découvert qu’entre eux le courant passait, et beaucoup plus encore : témoin cette nouvelle pièce de 48 minutes, totalement atypique, qui porte la marque de cette osmose, et de la facilité avec laquelle Maillot se coule dans la trame musicale proposée, tout en y plaquant son propre univers. Fantastique savoir faire que le compositeur salue à l’envi, lui qui n’a pas toujours eu le même chance avec d’autres créateurs, notamment Preljocaj pour le Siddartha de l’Opéra de Paris, dont la genèse fut difficile !
Abstract/Life © Alice Blangero
En ouverture donc, le très estimé, très rigoureux et très subtil Violin Concerto, conçu par Balanchine sur la pièce de Stravinski, de 1931. L’œuvre du chorégraphe connut deux versions assez différentes, la seconde, demeurée dans les répertoires, marquant son désir croissant d’épure, comme en témoignent l’absence de décors et les maillots académiques noirs où rien ne vient briser l’alliance de la musique et des lignes en mouvement. Provocations stridentes, voire sarcastiques, lyrisme délicat, frémissant, les deux univers s’y marient avec une élégance qui n’est pas facile à obtenir, et il faut se garder de n’y voir qu’un album graphique. Peu de compagnies savent l’interpréter avec justesse - notamment les grands russes, lesquels ne maîtrisent pas ce style -, mais à Monte Carlo, Maillot a toujours tenu à ce que cet héritage soit maintenu au plus vif de son sens et de sa difficile architecture, et 19 ballets de Balanchine figurent au répertoire de la compagnie. C’est dire. Y ont dominé la finesse, la grâce d’Ekaterina Petina avec son beau partenaire Matej Urban, mais tous furent à leur zénith.
Autre monde, souterrain ou sous-marin, tout d’obscurité, d’angoisse latente mais sans violence, de transports suspendus, sans identité propre, pour Abstract/Life donné en création. La musique de Mantovani, divisée en cinq parties et jouées par Marc Coppey au violoncelle entre les tutti de l’orchestre, en l’occurrence le Philharmonique de Monte-Carlo, dirigé par Pascal Rophé, s’étirait comme dans une méditation, sourdement parcourue de sursauts inquiets, et s’étoffait de moments de pression nerveuse, dans une palette sonore qui, tout en gardant son caractère inquisiteur de sons contemporains, n’en demeurait pas moins parfaitement intelligible par l’oreille et créait des moments de pure poésie.
Abstract/Life © Alice Blangero
Le compositeur avait intitulé sa partition Abstract et la confia ainsi à Maillot, qui s’empressa de lui accoler un second nom, Life. N’ayant nul projet préconçu sinon sa totale perméabilité à la musique, il a eu l’idée d’y couler une interrogation sur notre devenir, après une catastrophe mondiale, et d’y glisser des figures aux profils indiscernables, mêlées autour de la magnifique Mimoza Koike, flottantes dans un univers dont on ne sait s’il est terrestre ou aquatique, et peuplé de figures étranges, comme coiffées d’algues et autres éléments bizarres. L’ensemble baigne dans le noir, mais scandé par des structures caverneuses et luisantes, imaginées par la talentueuse Aimée Moreni, fille de la célèbre Poppy, et les personnages n’en émergent que grâce à de mini lumières qui ponctuent leurs silhouettes en collants sombres. Ambiance angoissante, mais sans effets de chocs, pour créer un état d’esprit un peu étale, très différent des climats créés par Maillot habituellement, lequel est souvent de vif-argent, sauf lorsqu’il s’abyme dans ses fantasmes inquiétants.
Mais pour cette œuvre dans laquelle on ne l’attendait pas, paléo ballet ou magma visionnaire, il s’est penché sur son propre passé, puisant nombre de figures dans des chorégraphies anciennes et un peu oubliées, les recomposant dans une toute autre optique, et osant se faire l’héritier de son propre travail. Une fois les traditions digérées, ce qu’il a su manier pendant des décennies, voici un nouveau temps de liberté, qui convient bien à l’esthétique circulaire de ce ballet pas comme les autres. Pour un univers chorégraphique dont on a suivi les si nombreuses facettes, c’est bien là une façon nouvelle et riche de s’assumer, dont a apprécié l’intelligence, et souvent la beauté.
Jacqueline Thuilleux
Monaco, Abstract/Life par les Ballets de Monte Carllo - Monte-Carlo, Grimaldi Forume, 26 avril 2018.
Les Ballets de Monte Carlo seront présents à Paris, avec Le Songe, de J.-C.Maillot du 8 au 15 juin 2018, Théâtre National de Chaillot / theatre-chaillot.fr/les-ballets-de-monte-carlo-jean-christophe-maillot-le-songe
Photo © Alice Blangero
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