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Alcione de Marin Marais inaugure l’Opéra-Comique rénové – Tous les marins du monde – Compte-rendu
En programmant l'Alcione de Marin Marais, créé en 1706, et jamais remonté depuis son ultime reprise en 1771, l'Opéra-Comique renoue avec un genre et un spectacle devenus sa deuxième marque de fabrique : la tragédie lyrique française. La résurrection triomphale d’Atys, il y a trente ans, a fait date. Le spectacle de ce soir est à marquer d'ores et déjà de la même pierre blanche. Mais le parallèle s'arrête là. D'abord parce que la salle Favart d'aujourd'hui vient de bénéficier un lifting en règle qui la rajeunit : peintures, dorures et tentures rafraîchies, climatisation neuve, qui supprime le redoutable effet d'étuve d'autrefois. Et le dépoussiérage est porté plus loin encore par la mise en scène décoiffante de Louise Moaty.
Passant par-dessus bord les codes de la rhétorique baroque, façon Benjamin Lazar, tout autant que les fastes de l'étiquette versaillaise, façon Jean-Marie Villégier, la jeune femme convoque sur le plateau nu les arts du cirque. Il en résulte un spectacle vertigineux en 3D, qui se déchaîne en long, en large et en hauteur — surtout en hauteur ! Issus de l'Académie Fratellini, acrobates, voltigeurs, cascadeurs s'envolent vers les cintres, suspendus à des filins comme à des cordages de navire. Alcione est en effet un opéra maritime, célèbre par sa « tempête » du quatrième acte, dont Rameau, dans Hippolyte et Aricie, puis Mozart, dans Idoménée, se souviendront. D'un débridé fellinien, la transposition nautique de Louise Moaty se justifie d'autant mieux que la machinerie des théâtres a longtemps emprunté ses accessoires à ceux des bateaux — treuils, poulies, roues de gouvernail — et confié leur maniement à d'anciens marins. Alcione, ou « La nave va » …
© Vincent Pontet
Inspiré des Métamorphoses d'Ovide, le livret mythologique d'Antoine Houdar de La Motte met en jeu l'habituel trio conjugal : la femme (Alcione, fille d'Eole, dieu des vents), le mari (Céix, fils du roi de Thessalonie, Phosphore), et l'amoureux éconduit de la femme (Pelée, par ailleurs ami de Céix, et dont la jalousie est exploitée par un couple de magiciens malfaisants, Phorbas et Ismène). Leurs tribulations s'échelonnent selon les cinq actes du protocole lulliste : acte du mariage, de l'invocation des enfers, de la séparation, du sommeil (avec le songe funeste et prémonitoire de la tempête), enfin de la mort et transfiguration des héros.
Marc Mauillon (Pélée) & Lea Desandre (Alcione)
Autant d'événements prétexte à des divertissements dansés, dans lesquels la chorégraphe Raphaëlle Boitel entraîne ingénieusement tout son monde — artistes du cirque, danseurs, choristes, solistes. A l'exception d'une Ismène peu audible, ces derniers sont dignes de tous les éloges. Ce n'est pas une surprise, concernant le ténor Cyril Auvity (Céix), ou le baryton Marc Mauillon (Pélée), familiers des Arts Florissants de William Christie. En revanche, l'Alcione poétique de Lea Desandre est une révélation, et des plus merveilleuses : voix fraîche au timbre porcelainé, diction claire, maintien et jeu d'une distinction naturelle. Même engouement pour le Phorbas méphistophélique et altier de Lisandro Abadie.
Lea Desandre (Alcione) © Vincent Pontet
Reste l'orchestre, auquel Marin Marais, par ailleurs gambiste attitré de Louis XIV, donne une prépondérance et un raffinement annonciateurs de Rameau. La direction ne pouvait en revenir qu'à Jordi Savall, dont on sait la part qui lui revient, en tant que gambiste, dans le succès du film d'Alain Corneau Tous les matins du monde, il y a un quart de siècle. Le voici passer chef — chef de tous les marins de monde. A la tête de son orchestre Le Concert des Nations, sanglé, façon Manet, dans une stricte redingote noire, le fringant septuagénaire souligne idéalement les moments d'intimité de l'œuvre. Quitte à abuser parfois de la vitesse de croisière, pour laisser filer le flux musical. Mais quelle abondance de nuances et de couleurs, notamment au pupitre de flûtes (à bec, traversière) !
Plus encore que par une salle comble et un premier rang de balcon alignant tout un gratin politique, c'est par cette double fête de la musique et du théâtre qu'Olivier Mantei, successeur de Jérôme Deschamps à la tête de l'Opéra Comique, peut se féliciter d'une réouverture glorieuse de la salle Favart.
Gilles Macassar
M. Marais : Alcione – Paris- Opéra Comique (coproduction Gran Teatre del Liceu de Barcelone, Château de Versailles Spectacles, Théâtre de Caen), le 26 avril ; prochaines représentations les 28 & 30 avril, 2, 4, 6 & 7 mai 2017 / www.concertclassic.com/concert/alcione
Sur France Musique le 21 mai
En direct sur Mezzo le 6 mai
© Vincent Pontet
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