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Allemagne / Festival de Herrenchiemsee - Passé recomposé - Compte-rendu

Etrange embarquement pour un Cythère musical que ce festival d’Herrenchiemsee, lequel a l’intelligence de puiser aux sources les plus diverses pour les relier autour d’une idée centrale forte : l’amour de Louis II de Bavière pour les techniques futuristes, gardées à leur rang de moyens et non de but- afin de mieux parvenir au rêve et à l’exaltation de valeurs esthétiques. Admirable organisation qui fait traverser le lac de Chiemsee à quelques centaines de mélomanes attentifs et émus d’aborder à cet îlot fantasmatique. Au bout d’un parc qu’habitent des daims, les attend un Louis XIV coupé de son centralisme et plongé dans sa seule vision glorieuse et éclatante, voulue par un roi qui contrairement au Roi Soleil, garda cette splendeur inachevée pour lui seul.

Alors que l’aile nord du château abrite une exposition qui rend honneur aux vertus visionnaires et scientifiques de Louis II, à l’occasion du 125e anniversaire de sa mort, le public des concerts procède gravement du grand escalier jusqu’à l’immense Galerie des glaces, où il prend place sous les lustres garnis de 2000 bougies, auxquelles cependant, pour le concert, on préfère l’éclairage des spots. Car le festival, comme le précise Enoch Zu Gutenberg, son directeur-fondateur, coûte un million d’euros, que le prix des places ne suffit guère à couvrir. Grâces soient donc rendues à la Deutsche Bank, laquelle permet ce tour de force d’une aventure vieille d’une décennie, qui gagne en richesse artistique d’année en année. D’autant qu’elle est ici devenue institution. Il n’a pas fallu gratter loin pour qu’elle s’inscrive au cœur du public bavarois, lequel ressort pour la circonstance des costumes auxquels il est resté attaché, s’esbaudit devant les joueurs de trompe qui scandent l’entracte, et se retrempe ici dans le sang de son dragon favori : Louis II, pour avoir tant coûté à son pays, se voit aujourd’hui pardonné de ses folies par les innombrables retombées qu’elles engendrent. Bizarre postérité.

Les artistes, eux, sont plus encore que dans un festival traditionnel, portés par le caractère fabuleux du lieu qui les accueille, et leur enthousiasme chasse toute nostalgie. Certes, les vents peine parfois à émerger d’un magma de cordes, mais de façon curieusement irrégulière, ainsi pour les Wesendonck-Lieder qui devaient bien évidemment être l’œuvre la plus emblématique du concert intitulé « An Eurydike ». Donnés dans la version Henze (1976), détaillés quasiment en sprechgesang par la splendide contralto Ann-Katrin Naidu, leurs couleurs acides se détachaient difficilement, alors que dans le même concert et avec les mêmes interprètes, l’Orchestre de chambre de Munich sous la direction de Alexander Liebreich, lançait un Pulcinella de Stravinski fulgurant, dont les finesses polyphoniques étaient elles parfaitement mises en relief. De même que les vocalises exacerbées de Christiane Oelze dans la cantate Nel chiuso centro de Pergolese, à la limite de l’hystérie..

Le lendemain, splendide plongée dans l’âme germanique, autour du thème éclairant de Haydn, de son Concerto pour trompette en mi majeur, interprété par le trémulant Florian Berger, à l’équilibre souverain des Haydn-Variations de Brahms et à la tension de sa 4e Symphonie. Jouée avec emportement par l’Orchestre der KlangVerwaltung, chéri d’Enoch Zu Gutenberg, et sous la direction vigoureuse d’Heinrich Schiff(photo), la musique emplissait jusqu’aux miroirs ce lieu si dense de chimères. Pas un vide sous les lustres. Le public est sorti chargé d’énergie de ce festin.

Jacqueline Thuilleux

Festival de Herrenchiemsee, les 18 et 19 juillet 2011
www.herrenchiemsee-festspiele.de

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Photo : Andrea Felvegi
 

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