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András Schiff en récital à la Fondation Louis Vuitton – Le chant du cygne de deux géants – Compte-rendu
A l’occasion de sa venue à la Fondation Louis Vuitton, András Schiff (photo), dont les apparitions sont trop rares en France, nous offre le chant du cygne de deux géants de la musique : Schubert et Beethoven, avec respectivement la Sonate D. 960 et l’Opus 111. Récital fabuleux, où le vertige des derniers opus est mis en abîme par la confrontation de deux langages parvenus à leur aboutissement.
Sur scène trône un magnifique Bösendorfer, le piano d’András Schiff lui-même, qui l’accompagne pendant ses concerts, et qui par ses reflets ambrés nous plonge d’emblée dans une atmosphère intime de salon. Les inconditionnels de Steinway crieront à l’inhomogénéité des registres et à la faiblesse des aigus, il n’empêche que sous les doigts du pianiste cette inhomogénéité dessine un relief de sonorités qui met en perspective la dimension narrative des œuvres, en même temps qu’elle confère au son une présence charnelle et incarnée. Schiff saura tirer parti à merveille de ce piano, tantôt en délestant les aigus de tout poids dans l’Arietta de l’Opus 111, tantôt en retardant chez Schubert les basses isolées, au timbre rond et dense qui n’engloutit jamais le reste.
De ce concert merveilleux, le premier mouvement de la Sonate D.960 apparaît comme le seul bémol. La sonorité est peu puissante, les intentions, malgré une attention toute particulière et bienvenue portée à la main gauche, par trop prévisibles, et il manque cette magie, qui s’installera dès l’Andante Sostenuto, tendu d’un bout à l’autre, et joué avec une immobilité et un sang froid à donner des frissons. Le Scherzo, par sa légèreté remarquable, est plein d’une alacrité contagieuse, tandis que le dernier mouvement semble foisonner de personnages et d’intrigues. András Schiff crée des sonorités incroyables, toujours renouvelées, d’une finesse et d’une beauté rares. Dans l’Opus 111, qui précède de six ans la dernière sonate de Schubert, il insuffle une autorité et un sens architectural prononcé, et l’acuité de l’écoute libère des nuances d’expressions qui semblent affranchies de toute barrière, tout en conservant une excellente maîtrise du rendu sonore, sensible et intelligent.
András Schiff nous régale d’un bis à valeur symbolique : le premier Prélude et fugue du Clavier bien tempéré de Bach. Balayant le temps à rebours, des derniers Schubert et Beethoven jusqu’au premier Bach, qu’il considère comme le plus grand compositeur de tous les temps, le pianiste instaure un lignage évident, comme si tout venait de là.
Le public ressort comme métamorphosé par tant de beauté en un concert.
Manuel Gaulhiac
Paris, Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, 13 septembre 2018
Photo © Birgitta Kowski
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