Rare au plein sens du terme, Arcadi Volodos distille ses apparitions publiques bien qu’il ait décidé d’entreprendre cet été une vaste tournée de concerts à travers l’Europe (avec un arrêt à La Roque d’Anthéron, le 20 juillet, pour le 3^ème Concerto de Beethoven avec l’Orchestre Philharmonique de Marseille et Lawrence Foster ). Au TCE, son récital égrène des œuvres du romantisme germanique qui lui sont chères et qu’il remet sans cesse sur le métier. On peut regretter que le pianiste russe (aujourd’hui installé à Madrid) ne se montre pas plus aventureux dans ses choix alors qu’il dispose d’un répertoire qui ferait pâlir d’envie nombre de ses confrères.
 
Toujours maître de ses intentions, Volodos prouve une nouvelle fois qu’il appartient à l’élite du clavier même si son nom n’attire pas encore à Paris autant que celui de Grigory Sokolov. Les Papillons de Schumann, brahmsiens de ton, s’échappent de leur chrysalide pour prendre leur envol avec une densité peu commune. Aucune anecdote dans ce jeu pianistique qui, derrière le masque du bal costumé, laisse percevoir un univers oppressante et fantomatique. Les huit Klavierstücke op. 76 de Brahms possèdent poids, carrure et fantaisie mais aussi une fluidité et une transparence idéales.
Après l’entracte, l’ultime Sonate en si bémol majeur de Schubert atteint une profondeur peu commune malgré le classicisme assumé de la vision. Le soliste, sans jamais presser le tempo, fait vivre un moment de poésie pure où le temps paraît aboli. L’envoûtement sonore rejoint le sens de l’architecture, et la sensualité du timbre envoûte un auditoire devenu captif. Trois bis généreux avec, pour conclure, l’Andantino de la Sonate en la majeur D. 959 de Schubert qui bouleverse par sa sobriété et son intensité. Acclamation du public debout pour cet artiste d’une humilité touchante.
 
Michel Le Naour

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 19 juin 2018

Photo © Uwe Arens