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Ariodante à l’Opéra du Rhin – Précis de grammaire carsénienne – Compte-rendu
Cette grande maison bourgeoise en forme de palais à volonté, avec ses enfilades d’encadrements de portes aux moulures répétées… Ces robes des années 1960 et ces chignons banane, ces nuisettes… Ces domestiques qui dressent une grande table, ces éclairages raffinés… Face à l’Ariodante que présente l’Opéra du Rhin (en coproduction avec Covent Garden), un nom vient inévitablement à l’esprit : Robert Carsen. Pourtant, c’est Jetske Mijnssen qui assure cette production du chef-d’œuvre de Haendel, mais l’univers dans lequel elle transpose une intrigue située dans l’Ecosse médiévale a quelque chose d’extrêmement carsénien, au moins dans son aspect visuel. Pour le reste, la metteuse en scène opte pour une lecture tout à fait sérieuse de cet opéra, sans clin d’œil racoleur à l’actualité des familles royales, mais en creusant des personnages où elle refuse de voir des « bons » et des « méchants » univoques.
© Klara Beck
Par-delà les apparences du carsénisme, c’est le jeu d’acteur qui retient ici avant tout l’attention, grâce auquel les anti-héros semblent plus complexes ou plus susceptibles de rédemption, quitte à faire apparaître une certaine vacuité béate chez les héros, du moins dans leurs premières scènes. Evidemment, Ariodante et Ginevra deviennent plus intéressants dès qu’ils cessent d’être des amants à qui tout sourit, tandis que Polinesso n’est pas ici le monstre barbare qu’on voit parfois. Pendant l’ouverture, une pantomime interprétée par des enfants situe d’emblée les relations au sein de la famille concernée (de suivante qu’elle est en principe, Dalinda est ici promue sœur de l’héroïne), et l’on y voit s’implanter d’emblée des relations tendues où les deux laissés-pour-compte commencent à nourrir des griefs contre les heureux du monde. Moins inhumain aussi, le roi d’Ecosse, dont les décisions cruelles trouvent une explication dans les ravages d’une maladie qui le ronge inexorablement. Pas de happy end, une fois de plus, et tous pleurent finalement, en chantant néanmoins que le triomphe de la vertu rend l’âme joyeuse et la réconforte …
Christopher Moulds © N. Moulds
Dans la fosse de l’Opéra de Strasbourg, pas d’instruments anciens, mais un Orchestre symphonique de Mulhouse qui n’a cessé de progresser depuis une dizaine d’années, et qui trouve ici les justes accents sous la baguette de Christopher Moulds, habitué à diriger des orchestres modernes dans le répertoire du XVIIIe siècle. Contrairement à certains de ses confrères baroqueux, le chef britannique n’éprouve pas le besoin d’étirer les tempos ou de les précipiter, et sa lecture équilibrée fait mieux accepter la suppression de tous les ballets. On le félicite d’autant plus si c’est à lui qu’il faut attribuer l’inventivité avec laquelle sont ornées les reprises des airs. Présent en formation restreinte, le chœur de l’Opéra du Rhin (préparé par Hendrik Haas) apporte une contribution irréprochable lors de ses rares interventions.
© Klara Beck
Quant au plateau, il réunit principalement de jeunes chanteurs dont plusieurs effectuent à cette occasion leur prise de rôle. Tel n’est bien sûr pas le cas de Christophe Dumaux, Polinesso étant avec Tolomeo de Giulio Cesare l’une des figures haendéliennes qu’il a sans doute le plus chantées, mais sa longue fréquentation de la partition ne l’empêche nullement de renouveler son interprétation et de séduire malgré le caractère haïssable du personnage. Adèle Charvet se montre parfaitement convaincante dans le rôle-titre, tant sur le plan scénique, où elle n’a pas besoin comme d’autres de s’affubler d’une barbe à la Conchita Wurst pour être crédible dans son incarnation masculine, que sur le plan vocal, puisqu’elle affronte crânement tous les tubes qu’enchaîne Ariodante, tant dans le déchirement de « Scherza infida » que dans la virtuosité de « Dopo notte ».
© Klara Beck
Il est en revanche moins sûr que Ginevra convienne parfaitement à Emöke Baráth : on aimerait pour l’héroïne une voix plus étoffée, car le timbre de cette princesse d’Ecosse ne se distingue pas tout à fait assez de celui de sa suivante/sœur. Lauranne Oliva offre, elle, une composition extrêmement prometteuse, et sait provoquer l’émotion par un chant maîtrisé à la perfection. Belle révélation aussi avec Laurence Kilsby : on connaissait le mélodiste délicat pour l’avoir entendu en récital lors de son passage par l’Académie de l’Opéra de Paris, mais il se montre ici plein de vaillance et d’ardeur, transformant Lurcanio en personnage de premier plan. Si Pierre Romainville n’a guère à chanter en Odoardo, Alex Rosen opte pour la douceur dans son interprétation du roi, notamment parce qu’il passe la majeure partie de la représentation en fauteuil roulant ou dans un lit d’hôpital.
Laurent Bury
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Haendel : Ariodante – Strasbourg, Opéra, 6 novembre ; prochaines représentations les 8, 10 & 13 novembre à Strasbourg ; les 22 & 24 novembre à Mulhouse, et le 1er décembre 2024 à Colmar // www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2425/opera/ariodante
Photo © Klara Beck
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