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​Astrig Siranossian et Nathanaël Gouin à la Bibliothèque La Grange-Fleuret – Cap sur la rareté ! – Compte-rendu

 
Jean Cras, Pierre-Octave Ferroud, Marcelle Soulage : cap sur la rareté avec les trois sonates pour violoncelle et piano qu’Astrig Siranossian et Nathanaël Gouin donnent à la Bibliothèque La Grange-Fleuret. Ce programme n’est pas pour surprendre de part de cette dernière puisque, au rythme d’un mercredi par mois, elle propose des concerts de musique française méconnue, en lien souvent avec les divers fonds qu’elle héberge. Au fonds Jean Cras, s’est d’ailleurs ajouté l’an dernier celui de Pierre-Ferroud(1), compositeur et critique précocement disparu en 1936 – sa mort accidentelle bouleversa Francis Poulenc et l’amena à écrire les Litanies à la Vierge noire.
 
Pour certains musiciens – Rimski-Korsakov, Roussel – la mer constitua une merveilleuse aventure de jeunesse. Pour Jean Cras (1879-1932), elle fut la compagne de toute une vie – enseigne de vaisseau en 1901, l'artiste brestois termina sa brillante carrière au grade de contre-amiral. Publiée au lendemain de la première guerre mondiale (1920), sa Sonate pour violoncelle et piano était en fait achevée depuis 1901 – elle est contemporaine de la rencontre de Cras avec Henri Duparc. Une réalisation de jeunesse donc, infiniment séduisante, qui procure la sensation de mettre la cap sur le grand large. Dès les premières mesures, on embarque – et pas sur une mer d’huile ! Dans les deux mouvements vifs, la barre est fermement tenue par la violoncelliste sur le flot de la partie de clavier, volubile et mouvante – magnifiquement dominée par Nathanël Gouin jusqu’en de véritables paquets de mer sonores ! On ne cède pas moins au lyrisme grave et recueilli du Lent médian, servi par deux interprètes particulièrement attentifs aux inflexions de tempo et de dynamique.
 
Changement complet d’atmosphère avec la Sonate en La de Pierre-Octave Ferroud (de 1932, dédiée « à Serge Prokofieff ») dont l’intitulé des mouvements (Capriccio, Intermezzo, Rondo) laisse pressentir une écriture souple, légère, bondissante. Elle l’est effectivement, mais en rien insouciante. 1932 ... le temps des Années folles est révolu et, par-delà le caractère aérien de la musique (avec une dimension chorégraphique dans l’épisode central), la violoncelliste et son complice savent saisir des arrière-plans plus ambigus, comme dans le finale dont l’élan se fait parfois mordant.
 
Si les noms de Cras et Ferroud (1900-1936) n’encombrent pas les programmes, celui de Marcelle Soulage (1894-1970) en est, lui, totalement absent. On découvre avec bonheur la Sonate en fa dièse mineur op. 31 élaborée en 1919 par cette élève de Nadia Boulanger (une partition qui, l’année suivante, lui valut le Prix des Amis de la Musique). D’un lyrisme prégnant, l’Allegro moderato chemine vers une conclusion plus sombre et dramatique. Des souvenirs de la grande boucherie achevée quelques mois auparavant semblent refaire surface ... La conclusion rageuse de l’énergique final Allegro vivo de révèle de même nature. « De guerre » dit-on de certains opus ; d’immédiat après-guerre pourrait-on le faire à propos d’une composition qui comprend en son milieu un beau Nocturne où le chant du violoncelle, réconfortant, s’élève sur les accords suspendus du piano.
 
Que ceux qui ont manqué le concert du Duo Siranossian-Gouin se consolent, les ouvrages de Cras, Ferroud et Soulage feront dans les mois prochains l’objet d’un enregistrement pour Alpha. On pourra en outre retrouver les interprètes dans la Sonate de Soulage le 1er juin à Trouville lors du 1er Festival Nadia et Lili Boulanger (2) dont Astrig Siranossian assure la direction artistique.(3) Une idée de week-end musical de printemps toute trouvée !

Quant au prochain mercredi de la Bibliothèque La Grange-Fleuret, rendez-vous le 20 mars avec la pianiste Ninon Hannecart-Ségal pour un récital "Diableries" autour de Claude Ballif (1924-2004).

 
Alain Cochard
 

Paris, Bibliothèque La Grange-Fleuret, 28 février 2024.  
 
(1) pierre-octave.ferroud.com/a-propos/acces-aux-archives/

(2) A propos de Nadia Boulanger, rappelons qu'Astrig Siranossian et Nathanaël Gouin, rejoints par Daniel Barenboim, ont signé un très beau disque d'hommage à l'illustre pédagogue et compositrice : "Dear Mademoiselle / A Tribute to Nadia Boulanger" 1 CD Alpha 635

(3) www.festivalnadialiliboulanger.com/

(4) www.bibliotheques-royaumont.com/evenement/diableries-claude-ballif-2/?date=20/03/2024T19:30
 
Photo © DR

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