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« Attention Les Apaches ! » au Théâtre de l’Athénée – Onirisme et errance voyageuse – Compte-rendu
A Ravel, justement, revient d’ouvrir le premier volet de la soirée avec le Quatuor en fa majeur, sous les excellents archets d’Eva Zavaro, Ryo Kojima, Violaine Despeyroux et Alexis Derouin. Tout le concert se déroule derrière un rideau de tulle qui fait office d’écran de projection pour une séduisante création graphique de Casilda Desazars et Bernard Martinez. L’onirisme domine du point de vue visuel tout au long du programme, et en particulier dans la partie consacrée au Quatuor. On ne peut qu’admirer la façon dont les jeunes instrumentistes parviennent à mettre leur interprétation au diapason de l’univers qui s’offre à l’œil de l’auditeur-spectateur, sans pour autant affadir la partition ni lui faire perdre de son tonus rythmique (en quelle merveilleuse musique de fées le deuxième mouvement se mue-t-il dans ce contexte ...) ou de ses coloris.
« En rêve », pourrait-on aussi écrire en exergue des Ludions de Satie qui suivent. Le passage du piano vers le quatuor (P. Zavaro signe l’arrangement) change évidemment la couleur d’ensemble de l’ouvrage, le transportant dans un monde délicieusement flottant, mais le baryton Laurent Deleuil sait préserver et cultiver le caractère pince-sans-rire et cocasse de ces cinq savoureuses miniatures sur des vers de Léon-Paul Fargue.
De saveur, La réunion des Apaches de Pascal Zavaro n’en manque pas elle non plus ! Sorte de suite pour baryton et quatuor en six parties, l’ouvrage (donné en création mondiale) enchaîne des passages purement instrumentaux et d’autres avec voix. Les premiers (les nos I-Aulnes, III-Sarabande et V-Oyseaux) s’inspirent de pages du passé (Le Erlkönig de Schubert, une sarabande de Haendel, les Oiseaux de Janequin) et montrent le compositeur procédant à la métamorphose du matériau de départ de cette manière à la fois tendre et discrètement ironique dont il a secret. Les nos II, IV et VI sont pour leur part conçus sur des textes tirés de la correspondance de Ravel, de Stravinski et du Piéton de Paris ( « Je vois un immense Paris métronome ») de Fargue. Amour du ballet chez l’auteur du Sacre, perfectionnisme dans la démarche créatrice pour celui des Miroirs, vision – par bien des aspects prophétique ! – de la vie urbaine et moderne chez le poète ; dans chaque cas, l’écriture de P. Zavaro privilégie l’intelligibilité du texte sur toute forme de performance vocale et Laurent Deleuil se montre parfait dans la sensibilité et la justesse de l’expression.
Riche premier concert, on l’aura compris. Vient l’entracte, d’une durée normale, et voilà vite l’auditoire replongé dans la musique avec un second volet bien plus développé. On regrette cet intervalle trop court, une bonne heure de pause eût été nécessaire entre les deux parties ; mais on ne boude pas pour autant son plaisir au cours d’un programme unifié par des poëmes de Fargue et des récits de voyage au Proche-Orient de Mathias Enard (Beyrouth I, II, III & IV).
Difficile de décrire pas à pas un continuum poétique et musical qui vise justement à gommer la séparation entre mots et sons. Homme de théâtre amoureux de musique, Didier Sandre joue un rôle clef ici. Autour des Trois poèmes de Mallarmé de Ravel, des Trois poésies de la lyrique japonaise de Stravinski et des Quatre poèmes hindous de Delage, remarquablement servis par la mezzo McGown dans une relation fusionnelle avec les timbres d’instrumentistes menés par Julien Masmondet – vrai orfèvre des sons –, le comédien déploie avec art les vers de Fargue. Autour de la musique et ... sur la musique parfois, façon mélodrame. C’est le cas avec la première des Pièces pour clarinette de Stravinski ou les Oiseaux tristes de Ravel (page servie avec une grande exactitude poétique par Thomas Palmer, aussi convaincant là que dans Noctuelles – au piano seul). Surprenant ? Certes, mais cela fonctionne à merveille !
Aux ouvrages pour voix et ensemble de Ravel, Stravinski et Delage, répondent des premières mondiales signées Fabien Touchard, Jules Matton et Fabien Cali, toutes sur des textes de Mathias Enard dont les quatre Beyrouth encadrent ces créations (toujours avec Fiona McGown et Didier Sandre). Sens de la nuance, du détail infime, douceur de Touchard dans Yasilum (pour voix chanté, voix parlée ensemble), abandon et volutes sensuelles de Matton dans Boire à Lisbonne (pour voix chantée et piano), mystère et tension de Cali dans Matière de la Steppe (pour voix parlée, voix chantée et ensemble), les trois pièces embarquent l’auditeur dans un envoûtant voyage, d’autant plus prégnant que le luth et la voix de l’excellent Damien Pouvreau ajoutent au dépaysement. Merveilleuse et troublante errance voyageuse ... et pari gagné pour nos Apaches face à un public parfois un rien désarçonné – c’était le but ! – mais séduit par la singularité de la démarche. Une belle aventure commence ...
La suite ? Dès le 28 mai, toujours à l’Athénée, avec le grand retour de la version originale (1907) de la Tragédie de Salomé de Florent Schmitt.
Alain Cochard
(1) Pour en savoir plus sur Les Apaches : www.concertclassic.com/article/les-apaches-lathenee-dialogue-du-repertoire-et-de-la-creation
F. Schmitt : La Tragédie de Salomé (version 1907), 28 mai 2010 : www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/la_tragedie_de_salome.htm
Photo © Concertclassic
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