Journal
Atys selon Angelin Preljocaj au Grand théâtre de Genève – L’Ange exorciste – Compte-rendu
Le spectacle genevois montre que la musique de Lully s’accorde parfaitement à une chorégraphie qui ne cherche pas à restituer la danse baroque, et sur ce plan-là, la réussite est totale. Angelin Preljocaj a même obtenu des chanteurs une participation très active à la danse, bien plus encore que ne l’avait fait Anna Teresa De Keersmaeker pour Così fan tutte à Paris. Si l’on est impressionné par une prestation inhabituelle pour ces artistes, on est moins convaincu par la façon dont elle double très souvent celle du Ballet du Grand Théâtre.
Les gestes et mouvements sont le langage des danseurs, mais les chanteurs ont, eux, le texte et la voix ; les faire danser leur rôle est donc presque redondant, c’est ajouter une écart supplémentaire par rapport à notre réalité, éloigner un peu plus les personnages de nous en soulignant l’artificialité du genre lyrique. Le spectacle de Jean-Marie Villégier donnait à voir le cérémonial rigide de la Cour, mais cette carapace était brisée par les sentiments unissant ou opposant les protagonistes ; ici, la danse impose un rituel dont on ne sort jamais vraiment. Quant à l’identité visuelle de la production genevoise, si les costumes asymétriques de Jeanne Vicérial nous transportent d’emblée dans un univers mi-futuriste mi-extrême-oriental, le décor de Prune Nourry – un mur cyclopéen qui se découpe pour l’arrivée de Cybèle, et des racines monumentales – ne frappe vraiment que pour la dernière image, la transfiguration d’Atys.
Dans la fosse, la Cappella Mediterranea parvient à traduire la vigueur de l’inspiration lullyste, notamment dans les danses, et recourt beaucoup aux percussions dans les interventions du chœur. On connaît depuis plusieurs années les libertés que s’autorise Leonardo García Alarcón, Rameau étant le compositeur qui a le plus eu à souffrir de ses tripatouillages : cette fois, il se dispense de l’ouverture au lever du rideau (on l’entendra néanmoins lors de ce qui devrait être sa reprise avant le premier acte) et ne garde du prologue que quelques fragments, non sans en avoir fait réécrire le texte dans un style fumeux qui ne doit rien à Quinault. A l’autre extrémité de la représentation, le dernier acte est marqué par un ralentissement insupportable de la grande déploration finale, page magnifique qui en perd tout son souffle.
Vocalement, la distribution confie les quatre rôles principaux à des non-francophones, mais Ana Quintans travaille depuis assez longtemps en France pour maîtriser à la perfection la déclamation, et sa Sangaride est éblouissante d’autorité et d’émotion. Presque aussi bien-disante, Giuseppina Bridelli étonne d’abord en Cybèle devenue une sorte de vamp remuante, mais la beauté du timbre nous vaut un convaincant « Espoir si cher et si doux » (même si l’on y remarque déjà un étirement excessif du tempo). Andreas Wolf est un Célénus percutant, même si la ligne est parfois un peu malmenée, avec des e muets trop présents. Matthew Newlin danse avec une aisance confondante et possède toutes les notes d’Atys, malgré une émission qui devient souvent trop nasillarde lorsqu’elle se veut plus expressive.
Autour de ce quatuor, on remarque quelques présences fortes : la Doris pugnace de Gwendoline Blondeel, la délicate Mélisse de Lore Binon, ou la superbe voix de basse de Michael Mofidian en Idas ainsi que dans le quatuor du Sommeil, où il est rejoint par Nicholas Scott, Valerio Contaldo et José Pazos, Luigi De Donato étant un fleuve Sangar plus sérieux que ne l’était jadis Bernard Deletré. Bonne nouvelle, le Chœur du Grand Théâtre de Genève sera lui aussi du voyage quand cette production sera accueillie à l’Opéra royal de Versailles le mois prochain.
Laurent Bury
Reprise à Versailles les 19, 20, 23 et 23 mars 2022 // www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/lully-atys_e2460
Photo © Gregory Batardon - GTG
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