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Autodafé de Maurice Ohana à l’Opéra de Marseille – La mort n’est pas morte - Compte rendu
« Toute création donne à voir et à penser » écrivait Jacques Lonchampt dans les colonnes du Monde le 26 mai 1972, au lendemain de la création, en mode « théâtre musical » à l’Opéra de Lyon, et devant un public « clairsemé », d’ Autodafé de Maurice Ohana (1913-1992). Le public était, peut-être, un peu moins clairsemé à Marseille pour la création in loco d’une œuvre qui n’avait plus jamais été donnée depuis sa sortie entre Rhône et Saône. Et même en version de concert, s’il y a moins à voir, il y a toujours matière à penser.
Autodafé : un spectacle « pour le plaisir de brûler les monstres et faire pousser les arbres sur leurs cendres… » Ainsi parlait Ohana au temps de la création de sa cantate pour triple chœur, percussions, petit orchestre et électronique. C’était en août 1971 l’événement des 7èmes Choralies de Vaison-la-Romaine où l’œuvre était chantée au théâtre antique par 5000 choristes « A cœur joie » arrivés du monde entier pour partager leur rendez-vous trisannuel (25ème édition à venir en 2025). Une exceptionnelle masse chorale sollicitée par le compositeur pour être cette « foule exaspérée de s’être trop tue » comme le souligne Roland Hayrabedian, maître d’œuvre de la résurrection de la partition après plus de cinquante ans.
© Christian Dresse
A l’Opéra de Marseille, depuis le premier balcon, ils n’étaient pas 5000 mais plus de 100, membres de quatre chœurs amateurs de la région, pour lancer les invectives. Sur scène, l’ensemble Musicatreize se tenait aux côtés du chœur de l’Opéra de Marseille, devant un mur de percussions et derrière une vingtaine d’instrumentistes « maison » tous placés sous la direction de Roland Hayrabedian, de Florent Mayet (le tout nouveau chef de chœur de la maison lyrique marseillaise) et de quatre autres chefs positionnés face aux masses chorales au premier balcon.
Maurice Ohana a composé Autodafé pour dénoncer les exactions des tyrans, qu’ils soient croisés (des croisades), tontons macoutes, inquisiteurs, esclavagistes et autres personnages de même acabit. Même si la composition est bien datée « années 70 », l’œuvre est dense, puissante et complexe avec une sollicitation des voix de tous les instants. Il faut dire que l’instrument vocal était l’un de ceux qui inspiraient particulièrement Ohana. Des voix qui fusionnent, se désunissent, se fondent avec les instruments, se révoltent et livrent de rares instants paisibles. Un énorme travail pour des choristes sollicités dans un registre très particulier et techniquement bien éloigné d’un « Va pensiero »… Onomatopées, ruptures, et autres joyeusetés voulues par le compositeur ont été maîtrisées par les voix de l’Opéra. Quant à celles de l’ensemble Musicatreize, dont on sait la qualité d’expression dans les registres d’aujourd’hui, elles ont cumulé avec aisance les fonctions de solistes et de chœur antique. L’un des intérêts de cette partition étant l’osmose entre voix et instruments, Roland Hayrabedian soigne particulièrement ces instants fusionnels pour donner sa dimension émotionnelle à la musique ; quant aux percussions, omniprésentes, elles accompagnent l’accusation avec virulence.
La matière à penser évoquée plus haut est, hélas, la même un demi siècle plus tard. L’homme est toujours un loup pour l’homme, et, si en 1971 Ohana éteignait son Autodafé avec ces mots : « lorsque la mort sera morte il n’y aura plus de mort » force est de reconnaître que le feu n’a pas encore consumé l’horreur au quotidien de nos jours. Non, la mort n’est pas morte !
Michel Egéa
Photo © Christian Dresse
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