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Ballets de Monte Carlo - Haro sur le conformisme - Compte-rendu
On est en état de choc après ce panaché de trois ballets de signatures diverses, et pour des raisons contradictoires: d’abord l’admiration, car la compagnie de la Principauté dont Jean-Christophe Maillot est l’âme ne s’est jamais si bien portée. Autour de sa fascinante étoile, Bernice Coppieters, toujours aussi longiligne, les 48 danseurs affirment une sûreté, une élégance de lignes, un brio et une intelligence dans la façon dont ils absorbent les divers univers auxquels ils sont confrontés, qui montrent combien ils peuvent rivaliser avec les meilleures troupes du monde, l’American Ballet par exemple. Un résultat que l’on peut attribuer à l’astucieuse gestion de Maillot, lequel sait mêler à son capital chorégraphique dont les danseurs sont imprégnés, suffisamment de touches étrangères pour qu’ils ne s’étiolent pas dans un style unique, et sachent rebondir de rigueur néoclassique en délire contemporain.
Admiration aussi pour le très fin et pervers Altro canto, l’une des pièces maîtresses de Maillot, créée en 2006 et qui depuis s’est imposée sur de nombreux plateaux. Une sorte de leçon de ténèbres, avec une ambiguïté que le chorégraphe a laissé monter des pages de Monteverdi qu’il a utilisées. Charnelle, sombre et sinueuse, l’œuvre enchaîne une dizaine de pièces, empruntées notamment aux Vêpres de la Vierge, sans autre argument que celui de corps portés par la sensualité de la musique, autant que par sa dimension philosophique, toujours tapie dans les volutes de Monteverdi. Ballet de planètes du ciel platonicien, descente dans les subtiles correspondances des corps, on est bercé par leurs doux balancements, à la limite du vertige. La grande classe assurément, tandis que brûlent les chandelles qui encadrent cette étrange cérémonie.
Ensuite arrivent les chocs, pas toujours salutaires : bien des spectateurs, et non ceux si facilement qualifiés de « bourgeois », se sont sentis mal à l’aise devant Body remix, pièce accrocheuse et provocante de la faussement innocente Marie Chouinard, canadienne à la mode. Qu’on imagine : un festival de béquilles, de pieds bots, d’athlètes aussi, qui tous décomposent et recomposent les mouvements, avec une précision et une violence qui interrogent. Mais ces corps qui tapent et claquent avec une impitoyable symétrie, comme autant de robots, jouent-ils des infirmes et donnent-ils un festival IMC ? A moins qu’ils ne s’évertuent simplement à dominer les infirmités qu’ils n’ont pas, en un douteux pari. Troublante, agaçante, ou enthousiasmante tant la virtuosité des danseurs est confondante, l’œuvre a séduit les admirateurs de dame Chouinard, mais peu convaincu les autres.
Enfin, bizarrerie et onirisme pour la création de Jeroen Verbruggen, jeune chorégraphe et danseur de la compagnie, auquel Maillot a la générosité de donner sa chance : son Kill Bambi (photo), rock et farfelu, sort d’une imagination débridée, habitée par l’obsession contemporaine de la mort de la nature, et s’appuie sur des supports musicaux disparates, de Couperin à Poulenc et Nyman en passant par Moussorgski (rien moins que La Grande porte de Kiev des Tableaux d’une exposition). Certes, on peut trouver les costumes créés par la maison de couture On aura tout vu d’un total mauvais goût gothique, la succession des tableaux un peu chaotique, et penser que l’œuvre serait plus à l’aise sur un plateau de variétés, on n’en est pas moins saisi, voire touché par ce drôle de Songe d’une Nuit d’Eté d’où émerge une personnalité incontestable, et honnête dans ses inaboutissements. De quoi continuer sur une lancée bien connue et qui a fait ses preuves : le « Etonnez moi » de Cocteau à Diaghilev. Jeroen Verbruggen a bien de la chance de pouvoir conter ses rêves avec de tels interprètes et un tel plateau. Mais on ne s’en est pas plaint
Jacqueline Thuilleux
Monte-Carlo, Forum Grimaldi, 19 avril 2012
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Photo : Alice Blangero
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